Chère lectrice, cher lecteur,

Les sinistres écologiques sont devenus si récurrents que lorsqu’un rapport scientifique accusateur est publié, il y a de grandes chances qu’une actualité vienne illustrer ses remontrances. Hier, ça n’a pas manqué. Le même jour, la Cour des comptes livrait un rapport sur l’adaptation de la France au dérèglement climatique et on retrouvait dans le Gard le corps d’une enfant de quatre ans, peu de temps après celui de son père, tous deux victimes des fortes crues qui ont frappé le sud du pays. Son frère de 13 ans est, lui, toujours porté disparu. À ce jour, sept personnes ont donc trouvé la mort à la suite de la tempête Monica qui a sévi la semaine dernière, dont les effets ont été aggravés par l’état désastreux des sols.

Le pays n’est pas prêt à faire face aux risques climatiques, alerte le rapport : les incendies menacent les habitations, les pics caniculaires qui se multiplient tuent et endommagent les infrastructures, les crues s’intensifient, l’érosion menace de nombreux territoires, pas toujours protégés par un plan de prévention. Pourquoi l’adaptation est-elle à ce point négligée ?

Il faut dire que les objectifs de neutralité annoncés nous embarquent au plus tôt en 2030, si ce n’est carrément en 2050. Le réchauffement climatique n’est encore traité que comme un sujet d’avenir concernant principalement les générations futures. C’est pour elles qu’il faudrait se restreindre ou innover à toute berzingue. Ce qui s’exprime par exemple par la fièvre de l’innovation verte : hydrogène, géo-ingénierie, nucléaire, tous nos espoirs reposent sur les progrès à venir !

Cette représentation s’enracine dans une philosophie prégnante aux États-Unis : le long-termisme. Version 2.0 de la morale conséquentialiste qui évalue la valeur d’une action à ses effets globaux nets, le long-termisme entend sauver les générations à venir, quitte à sacrifier les générations présentes. Aussi Elon Musk ambitionne-t-il de coloniser Mars pour soulager la Terre de son poids démographique !

Il y a bien entendu des récits alternatifs sur le sujet : on peut aussi défendre l’atténuation des émissions dans un horizon immédiat en apprenant à renoncer à des infrastructures ou des projets. Et cela implique de se poser des questions désagréables, soulignent les sociologues Jérôme Denis et David Pontille : « Comment choisir, parmi la multitude des objets qui composent le monde des humains, ceux dont il faut cultiver la durée ? De quoi doit-on prendre soin ? […] Qu’est-ce qui ne mérite pas, ou plus, de durer ? » (Le Soin des choses, La Découverte, 2022). Comment orchestrer la fermeture des remontées mécaniques sur les montagnes sans neige, par exemple ?

Or, même s’il faut « interrompre la vie de certains objets et de certaines infrastructures, il ne faut pas que cela laisse entendre qu’il suffit de laisser les autres artefacts […] simplement continuer d’exister comme si cette continuité allait de soi ». Il ne s’agit pas uniquement de fermer, renoncer, réduire ; il faut aussi penser comment entretenir ce qu’on choisit de conserver… pour que ces choses durent ! Ce chantier de la maintenance vise donc à assurer la longévité des choses par un travail quotidien et lancinant : « du business as usual, des petits gestes sans importance qui ne rompent ni ne restaurent l’ordre des choses ». Pas très glamour, vous en conviendrez : pas étonnant que la maintenance n’ait pas la cote en période électorale ! En fait, l’adaptation est un mélange de ces deux approches désagréables : travailler à la permanence de l’existant tout en démantelant si besoin – quand la maison menace de brûler, il faut la raser. 

 

“L’adaptation, c’est le simple prix de la sécurité”

 

Enfin, si l’adaptation est un chantier négligé, c’est qu’elle est bâtarde : elle a trait aux seuls effets du réchauffement et non à ses causes. En cela, elle donne l’impression d’être une perte sèche. Quand on recommande de dépeupler les littoraux, c’est la perspective d’une perte sans contrepartie qui s’ouvre.  Elle est donc une transformation qui, à l’inverse du progrès, n’est pas la promesse d’une amélioration. Et contrairement à la maintenance et à la réparation, elle n’est même pas un investissement dans la durée : l’adaptation, c’est le simple prix de la sécurité. Et cela tombe assez mal…  car la Cour des comptes signale justement que les caisses de l’État prennent l’eau.

Une autre manière de voir les choses, c’est de considérer l’adaptation non pas comme une dépense improductive, mais comme une manière de faire des économies. Plutôt qu’un manque à gagner, on ferait mieux d’y voir un coût futur à éviter ! Pour cela, il faudrait commencer par faire les comptes : l’« évaluation précise des coûts actuels et futurs de l’adaptation […] est encore trop souvent lacunaire, voire inexistante, faute de données suffisantes », déplore ainsi la Cour des comptes…

 

 

Vous ne méritez rien : ni le bien, ni le mal qui vous arrive. Pourtant, il est impossible de se défaire de cette notion de mérite qui demeure un pilier de la société, argue Jack Fereday dans un essai.

Saviez-vous qu’une femme ménopausée sur dix quitte son emploi à cause de ses symptômes ? Que trois sur dix réduisent leur temps de travail ? Apolline Guillot s’interroge sur le rôle de nos représentations dans cette disparition des femmes ménopausées du monde professionnel.

Plus que trois mois avant les élections européennes ! Vous n’êtes pas du tout au point sur les enjeux de ce scrutin ? Pas de panique, on fait le point avec un spécialiste !

Faire du bon travail ne suffit pas : encore faut-il qu’autrui nous apporte sa reconnaissance. Pourquoi ne pouvons-nous pas nous en passer ? Anne-Sophie Moreau nous répond en vidéo.

Bonne lecture, 

Athénaïs Gagey

Photo © Christian Bellavia / SIPA
13/03/2024