Le « long-termisme » : ce nouveau courant philosophique, qui connaît un grand succès dans le monde anglo-saxon, affirme que la priorité morale de notre temps est de sauver un maximum de vies futures. Mais à trop regarder dans l’avenir lointain, le long-termisme semble parfois ne plus se préoccuper du présent.
Tout le monde connaît le principe de la roulette russe. On place une balle dans le barillet d’un revolver qui peut en contenir six, l’on se met soi-même en joue et l’on tire. Probabilité implacable : une chance sur six de mourir. Dans un livre écrit au plus fort de la pandémie, « Le Précipice » (The Precipice. Existential Risk and the Future of Humanity, non traduit, Bloomsbury, 2020), le philosophe anglais Toby Ord, chercheur à Oxford, avertit que l’humanité est en train de jouer à la roulette russe.
Au seuil du XXIe siècle, explique-t-il, nous nous trouvons au croisement des catastrophes. Il y a, en vrac, le risque d’un conflit nucléaire, celui de la propagation de nouveaux virus fabriqués en laboratoire, le développement autonome d’une intelligence artificielle qui pourrait nous asservir, sans parler des cataclysmes naturels entraînés par la crise écologique. Toby Ord évalue à une chance sur six la probabilité qu’un ou plusieurs de ces « périls existentiels » n’adviennent. En admettant que ce chiffre soit vrai (bien qu’on peine un peu à comprendre les calculs qui l’ont fondé), celui-ci constitue effectivement un niveau de risque inacceptable. Inacceptable non seulement pour nous, mais surtout pour les centaines – non, les milliers de milliards d’humains encore potentiellement à naître…
Un nouveau courant qui emballe Elon Musk
Ce constat alarmiste est le point de départ d’un nouveau courant de pensée, le long-termisme, qui gagne un terrain considérable outre-Atlantique. La parution au mois d’août du livre-manifeste What We Owe the Future (« Ce que nous devons au futur », non traduit, Basic Books, 2022) y suscite en ce moment même une intense activité éditoriale et médiatique. Le New Yorker tire le portrait de son auteur qualifié de « prophète malgré lui » (« reluctant prophet »), l’Écossais William MacAskill, 35 ans, ambassadeur du mouvement et collègue à Oxford de Toby Ord, tandis que le New York Times publie sa tribune et que le Time Magazine en fait carrément sa une. Côté Silicon Valley, c’est le fondateur de Tesla et de SpaceX, Elon Musk, qui a tweeté l’ouvrage, avec la mention suivante : « Lecture qui vaut le coup. Une philosophie qui me correspond bien. »
Alors, de quoi s’agit-il ? Le long-termisme est la dernière idée d’un mouvement social aussi puissant à Oxford que dans la baie de San Francisco, l’« altruisme efficace » (« effective altruism » en anglais, « EA » pour les intimes), qui cherche à « faire » le plus grand bien de la manière la plus rationnelle possible. Les « EA » sont des penseurs conséquentialistes, c’est-à-dire qu’ils jugent la valeur morale d’un acte au résultat qu’il produit. Férus de calcul, ils réfléchissent donc à la manière de mieux faire le bien (Doing Good Better, un autre ouvrage de William MacAskill), ce qui les mène à des conclusions contre-intuitives. Un exemple : l’on pourrait supposer que si l’on souhaite lutter contre la faim dans le monde (ou contre la malaria), il vaudrait mieux travailler dans une ONG ou devenir médecin. Non ? Eh bien d’après eux, mieux vaut en réalité faire fortune dans la finance ou la tech et reverser l’essentiel de son revenu : si votre projet réussit, vous sauverez, quantitativement parlant, plus de vies… Ce n’est donc pas une coïncidence si ces idées parlent tant aux milliardaires de la Silicon Valley – le philanthrope Bill Gates, par exemple.
Sauver les vies futures
Revenons-en au futur et au …
(sans coordonnées bancaires)
Accédez gratuitement à l'intégralité du site.
Votre entreprise vous a abonné(e) à Philonomist ?
Cliquez sur le bouton ci-dessous.