Dans une société obsédée par l’innovation, les professionnels de la maintenance restent dans l’ombre. Pourtant, rien ne durerait sans leurs mille et une attentions quotidiennes. À l’heure de la sobriété et de l’écologie, l’entretien des objets pourrait devenir une profession de foi politique. Enquête.
Savez-vous qui lave les vitres de votre bureau ? Connaissez-vous le nom des techniciens qui vérifient chaque mois les ascenseurs ? Probablement pas. C’est un fait, les métiers de la maintenance sont invisibilisés. Quand tout est bien entretenu, on n’y pense pas ; et quand on y pense, c’est souvent qu’il est déjà trop tard. Usés, abîmés, cassés, les objets de notre quotidien réclament alors une intervention drastique – réparation, voire remplacement.
Gardienne d’immeuble depuis une trentaine d’années, Catherine en fait régulièrement l’expérience. Dès qu’elle part en vacances, l’immeuble se dégrade en quelques jours à peine. « Pour que des locaux soient bien entretenus, explique-t-elle, c’est du quotidien. Il ne faut pas attendre et être régulier. » Dès qu’une ampoule casse, que des bottes boueuses ont sali l’entrée, ou qu’une poubelle s’est trop vite remplie, elle intervient. « Même quand je ne suis pas supposée travailler, ça m’arrive de balayer les feuilles à l’entrée du parking ou de repasser un coup de serpillère dans le hall », confie-t-elle. Les taches qui ne sont pas nettoyées tout de suite risquent de s’incruster définitivement. Parfois, des enjeux de santé et de sécurité sont aussi en jeu, lorsqu’un habitant entrave l’accès à un extincteur avec ses affaires ou que des ordures risquent d’attirer des nuisibles. « Si je ne sortais pas les poubelles tous les jours, c’est sûr qu’on finirait par avoir des rats. »
“Maintenir, c’est souvent résister à l’obsolescence et rompre un temps le cycle du remplacement incessant”
—Jérôme Denis et David Pontille
Une attention pour l’environnement
Pourquoi ces mille et une attentions discrètes sont-elles moins valorisées que la réparation spectaculaire ou l’innovation disruptive ? Dans une société hantée par l’idéal de l’Homo faber – l’être humain bricoleur et inventif, ayant su fabriquer des outils et objets pour s’émanciper –, on célèbre davantage le conservateur en charge de la reconstruction d’un monument, ou le startupper proposant de nouveaux services et technologies. Cette valorisation doit beaucoup à celle de la « destruction créatrice », théorisée par l’économiste Joseph Schumpeter dans la première moitié du XXe siècle. D’après lui, les innovations sont les principaux moteurs de la croissance économique, mais rendent régulièrement obsolètes d’anciens biens et services. À l’heure de la crise écologique, le temps de l’innovation est-il révolu ? Dans Le Soin des choses (La Découverte, 2022), les sociologues Jérôme Denis et David Pontille font l’hypothèse que la maintenance a une portée politique. « Maintenir, écrivent-ils, c’est souvent résister à l’obsolescence et rompre un temps le cycle du remplacement incessant. »
“La maintenance est un objectif politique plus compatible avec les nouveaux enjeux écologiques”
C’est aussi remettre en question des pratiques dites « écologiques », mais qui continuent de mettre l’accent sur la production, la consommation et le remplacement – à l’image du recyclage à outrance. La maintenance est un objectif politique plus compatible avec les nouveaux enjeux écologiques : épousseter votre clavier d’ordinateur, nettoyer la machine à café ou encore changer le mousseur d’un robinet n’a certes rien de spectaculaire ni d’héroïque. Impossible de communiquer dessus sur LinkedIn ou de le faire rentrer dans votre rapport d’activité. La plupart de vos collègues ne le remarqueront même pas. Mais c’est peut-être dans ces gestes invisibles et anodins que réside une partie de la solution à la crise environnementale.
Dans Durer (Les Belles Lettres, 2020), le philosophe Pierre Caye critique cette injonction schumpétérienne aux changements permanents et r…
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