Chère lectrice, cher lecteur,
Une tête émerge dans l’entrebâillement de la porte, clope au bec. « Tu viens fumer ? » Deux minutes plus tard, mes collègues en grillent une dans le jardin de l’immeuble, et moi, je me retrouve encore seule à mon bureau, à remâcher une forme de jalousie mêlée de « Fomo » – vous savez, la fear of missing out, cette angoisse de rater un événement social. Je n’ai jamais fumé, je n’ai pas l’intention de m’y mettre, et encore moins de vous inciter à le faire. Toutefois, quelque chose me séduit chez les fumeurs : leur façon de faire communauté et de toujours réussir à retrouver leurs semblables.
Au travail, une semaine après son arrivée dans une boîte, le fumeur tutoie déjà Nicole des RH, connaît le nom des enfants du concierge et la passion pour l’aquarelle de son n+2. Pendant ce temps-là, vous peinez encore à savoir à côté de qui vous asseoir à la cantine. Leur addiction, à mes yeux de non-fumeuse, leur permet de transcender les barrières sociales et professionnelles avec désinvolture.
En 1973, le sociologue Mark Granovetter publiait son article « La force des liens faibles », qui allait faire date. Il y distingue les liens forts, ceux que l’on a avec des amis proches, des liens faibles, ceux qu’on partage avec des connaissances. Sa thèse est simple, quoique contre-intuitive au premier abord : les liens faibles sont plus puissants que les liens forts. Du moins, ils nous permettent d’aller plus loin, d’atteindre des espaces sociaux plus éloignés, d’obtenir des informations différentes.
Exemple : si vous cherchez du travail, vous avez plus intérêt à solliciter votre réseau distant pour accéder à des offres d’emploi différentes et intéressantes. Pourquoi ? Parce que vraisemblablement, mêmes s’ils sont plus motivés à vous aider, vos amis les plus proches gravitent dans le même cercle que vous, et ont accès à peu près aux mêmes informations que vous. Vos connaissances plus éloignées, elles, sont proches d’autres personnes qui ont pu entendre parler d’offres différentes.
“À la pause clope, vous retrouvez des gens dont vous êtes moins proches et que vous n’auriez pas rencontrés sinon”
Au bureau, c’est pareil. Quand vous prenez une pause café – ou thé, maté, chicorée, goûter, selon vos affinités –, vous sollicitez les collègues dont vous êtes déjà proches. La conversation peut vite tourner en rond, car vous êtes déjà au courant du dernier ragot croustillant qu’Hippolyte veut vous raconter. À l’inverse, à la pause clope, vous retrouvez des gens dont vous êtes moins proches et que vous n’auriez pas rencontrés sinon. Vous n’avez pas passé des nuits blanches à finir des présentations pour un client avec eux ; toutefois, Pascal, le délégué du personnel, peut vous confier que la direction réfléchit à une augmentation générale pour la rentrée, et Laura, la commerciale, est la seule personne susceptible de vous faire remarquer que Loup a un crush sur vous. On appelle « ponts » ces liens faibles pivots, qui vous permettent d’accéder à un autre univers.
Bien sûr, les clopeurs peuvent devenir des amis, et le lien faible se transformer en lien fort. La qualité d’un lien interpersonnel dépend, selon Granovetter, de quatre critères : la quantité de temps passée ensemble, l’intensité émotionnelle, l’intimité – entendue comme une forme de confiance mutuelle –, et enfin les services réciproques rendus. Plus on fume ensemble, plus on se dépanne de briquet et plus on partage de ragots, plus on se rapproche.
Et puis il y a dans la pause clope quelque chose qui semble pousser à l’intimité : exclus du cœur de l’entreprise, condamnés à affronter ensemble la bise glaciale de janvier, les fumeurs sont soudés par l’expérience. Loin de l’open space et du bureau du chef, bref, hors de portée des oreilles indiscrètes, il est plus simple de se délester de ce qui vous pèse. Confidences qui sont d’autant plus favorisées que l’action de la cigarette apaise ses consommateurs (même s’il ne s’agit que de calmer des symptômes de tension dus au manque), tandis que le traditionnel café a une fonction énergisante – et que bien souvent, il sert à se remettre en selle avant d’abattre plus de travail.
Mais à bien les observer, je me suis rendu compte que ce n’était pas tant la cigarette qu’un certain état d’esprit l’accompagnant qui ouvrait des portes. Car quand certains créent un petit groupe de collègues fumeurs, d’autres se contentent de sortir fumer quand ils en ont envie, se joignant à quiconque est déjà dehors. Alors pourquoi les non-fumeurs ne pourraient pas également rencontrer des gens différents ? Pas besoin d’aller jouer au ping-pong à la pause non plus : vous pouvez tout simplement vous montrer plus à l’écoute des gens que vous croisez. Une collègue que vous ne connaissez pas lâche un gros soupir en attendant que son plat réchauffe au micro-ondes ? Demandez-lui ce qui ne va pas ! Vous faites la queue à la machine à café ? Profitez-en pour lancer la conversation ! Qui sait, vous ferez peut-être de belles rencontres.
Vous connaissez le plafond de verre, mais avez-vous déjà entendu parler du plancher de verre ? Selon ce concept, il est difficile pour les hommes (même motivés) de descendre en dessous d’un certain niveau de responsabilités et de revenu. Or, pour arriver à l’égalité, il faudra bien que des hommes cèdent leur place à des femmes, argue la chercheuse Clotilde Coron.
Et si les marques n’influençaient pas seulement nos choix de consommation, mais tout notre imaginaire collectif ? C’est la thèse de Raphaël LLorca, qui nous l’expose dans un entretien.
Vous n’avez aucun mal à vous montrer tolérant avec le stagiaire neuroatypique… alors pourquoi ne pouvez-vous pas supporter votre collègue bordélique ou la RH apathique ? Peut-être faudrait-il remettre en cause la notion même de « neurotypique » pour étendre notre tolérance à tous.
Vous êtes encore à la bourre dans votre travail ? Il y a peut-être une raison philosophique à cela. Faites donc notre test sur la gestion du temps pour trouver l’excuse parfaite à sortir à votre manager !
Bonne lecture,
Mariette Thom