De Gaulle et Victor Hugo ont-ils cédé leur place à Renault et Burger King ? Aujourd’hui, les élites ne parviennent plus à produire un roman national. Pour l’essayiste et spécialiste de la communication Raphaël LLorca, qui publie Le Roman national des marques (L’Aube, 2023) les marques ont rempli ce vide. Désormais, elles n’influencent plus seulement nos choix de consommation, mais la façon dont nous imaginons la société dans son ensemble. Entretien.

Propos recueillis par Apolline Guillot

 

Dans votre livre, Le Roman national des marques, vous constatez que les marques sont productrices d’imaginaires politiques. Qu’entendez-vous par là ?

Raphaël LLorca : Depuis longtemps, on sait que les marques façonnent nos imaginaires de vie et de consommation, nos identités individuelles. J’ai fait l’hypothèse qu’aujourd’hui, les marques façonnent également les représentations collectives. En travaillant sur le sujet, j’ai fait un constat dramatique : le vide de récit national.

Dans l’étude Ifop que nous avons conçue pour l’occasion, on soumettait aux interrogés une liste de dix types d’acteurs (artistes, chanteurs, politiques, entreprises, intellectuels, humoristes…), et on leur demandait lequel, selon eux, racontait le mieux la France et les Français aujourd’hui. Et c’est une onzième catégorie, la case « Personne », qui a emporté la majorité relative des suffrages. Il y a donc un réel déficit perçu de conteur national.

Le deuxième enseignement de cette étude, c’est le déclassement symbolique du politique. Seuls 4 % des Français estiment que le politique est celui qui représente le mieux la France aujourd’hui… C’est une défaite vertigineuse : l’une des fonctions symboliques du politique n’est-elle pas de raconter son pays ?

 

“Il n’y a pas un seul sujet qui échappe à un discours de consommation”

 

Comment les marques se sont-elles imposées dans ce manque de récit national ?

Dans le vide laissé par le politique s’est dessinée une nouvelle géographie narrative où divers acteurs racontent des morceaux de pays, donnant de la société française une vision très subjective, très archipélisée. Entre des humoristes comme Cyril Hanouna et des récits de marques, le politique est un émetteur comme les autres. Il est entré sur le marché des récits collectifs qui luttent pour capter l’attention des citoyens, et la concurrence est féroce.

Aujourd’hui, ce sont d’abord les marques qui façonnent notre imaginaire collectif. Elles produisent du discours sur tout : le déménagement, l’amour, le sport, ces milliers de choses du quotidien. Il n’y a pas un seul sujet qui échappe à un discours de consommation. C’est une sorte de bible intégrale de notre société, une anthropologie vivante de nos manières de vivre. C’est ça aussi qui forge leur puissance.

 

Comment les marques produisent-elles cet imaginaire collectif ?

Il y a d’un côté les marques qui font du « roman national » à proprement parler et s’emparent de cette discipline qui était autrefois l’apanage d’une certaine élite culturelle et politique. Cette catégorie de publicité nationale raconte la France à part entière : la France n’est plus simplement l’arrière-fond du discours, mais le personnage principal des récits. C’est le cas de la SNCF avec sa campagne « Hexagonal », de Renault, de la Française des jeux et de son spot « Voir la France gagner », qui proposent des visions explicites de la société française.

De l’autre, on a tout un tas de marques dont le discours n’a pas directement pour objet la France en tant qu’entité, mais qui racontent des morceaux d…

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