Chère lectrice, cher lecteur,

« Voleur de vie ! » : samedi 15 avril 2023 matin, c’est avec ce cri du cœur que Jean-Luc Mélenchon accueille sur Twitter la décision d'Emmanuel Macron de promulguer immédiatement la réforme des retraites. Beaucoup de Français, hostiles au passage de 62 à 64 ans de l’âge légal de la retraite, le ressentent sans doute ainsi. « Cette réforme est-elle acceptée ? À l’évidence, non », a constaté le président Emmanuel Macron dans son allocution du lundi 17 avril 2023, destinée à préparer les mois à venir. Selon les différents sondages, environ sept Français sur dix ne sont d’accord ni sur le fond ni sur la manière quant à cette réforme des retraites. Si bien que l’appel du chef de l’État à surmonter la colère pour construire avec les partenaires sociaux un « nouveau pacte de la vie au travail » – le premier des trois chantiers qu’il propose – est tombé à plat.

Le nœud du problème est pourtant bien là, dans le travail. C’est un point où se rejoignent, à leur corps défendant, les oppositions et les gouvernants. Il faut que la perception du travail soit profondément dégradée pour que certains en viennent à considérer que deux ans de travail en plus, ce sont deux ans de vie en moins. Et pour que des centaines de milliers de personnes défilent pour clamer leur refus de travailler plus longtemps.

Le travail opposé à la vie, le travail comme « non-vie » ? Personnellement, je m’insurge contre cette idée : d’abord, j’ai aimé et aime toujours le travail, peut-être parce que j’en fais un plaisant (écrire des articles pour vous, lecteurs). Ensuite, à cause d’un souvenir d’enfance : ma mère me citait toujours un poème d’Ivan Vazov, le Victor Hugo bulgare, intitulé Travaillons !. Ses vers sont devenus des dictons, « travailler, ce mot glorieux », « une heure perdue est un siècle perdu »… Enfin, durant ma vie de journaliste économique, j’ai vu le chômage de masse enfler, enfler, et ne redescendre qu’à grand peine. Alors le travail semblait un trésor – « Travailler encore, travailler encore », chantait Bernard Lavilliers.

 

“Il faut que la perception du travail soit profondément dégradée pour que certains en viennent à considérer que deux ans de travail en plus, ce sont deux ans de vie en moins”

 

Mais il est clair aussi que le fort taux de chômage qui s’est maintenu en France plus qu’ailleurs a eu pour effet de dégrader les salaires, les évolutions de carrière, les conditions de travail… et le financement des retraites. Quand il fallait supplier pour trouver un travail de plus en plus précaire, de moins en moins bien payé, quand les employeurs se permettaient de ne pas rémunérer les stagiaires et de pousser dehors des « seniors » de moins de 50 ans, alors on pouvait comprendre que beaucoup prennent le système en grippe. Paul Lafargue, dans son célèbre livre de 1883 Le Droit à la paresse, préfigure d’une certaine façon le débat de 2023 : « Les économistes s’en vont répétant aux ouvriers : travaillez pour augmenter la fortune sociale ! […] Travaillez, travaillez toujours pour créer votre bien-être ! » et Lafargue de traduire, se gaussant de ces experts paternalisants : « Travaillez, travaillez, pour que, devenant plus pauvres, vous ayez plus de raisons de travailler et d’être misérables. » Il met le doigt sur une très ancienne incompréhension entre ces derniers et « les ouvriers ». Bien sûr, la misère dont parle Lafargue n’a rien à voir avec le niveau de vie du travailleur français d’aujourd’hui, même le plus mal loti. Mais quand on regarde d’abord ses intérêts personnels, on n’a pas envie de recevoir des leçons d’économie. « Pas content ne veut pas dire pas comprendre », disait une pancarte lors d’une manifestation contre la réforme des retraites.

Le paradoxe est que la plupart des gens aiment bien leur travail, comme le montre une enquête publiée par l’Institut Montaigne en février 2023. Sur 5 000 actifs interrogés, 77 % se disent satisfaits au travail, et deux sur trois trouvent que le travail occupe une « juste place » dans leur vie – bien que 60 % jugent que leur charge de travail a augmenté. Sauf que le diable se cache dans les détails : dans la rémunération jugée trop faible (46 % des actifs se déclarant insatisfaits au travail), dans l’absence de perspectives d’évolution de carrière (42 %), dans le manque de reconnaissance par l’entreprise (38 %). Et dans le sentiment que l’âge de la retraite est déjà, avant la réforme, trop élevé (48 % des actifs interrogés, 59 % des moins de 35 ans). Au vu de ces chiffres, ce n’est pas être déconnecté de la réalité que de vouloir améliorer qualitativement le travail. Mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a du boulot !

 

 

Quoiqu’on en dise, des glandeurs au boulot, on en trouve toujours. Mais tous les fainéants ne se valent pas. Petit guide pour savoir distinguer les paresseux – et s’inspirer d’eux !

Après le quiet quitting, place au conscious quitting ! Contrairement aux adeptes du premier concept, les « démissionnaires de conscience » ne sont pas du genre à glander. Plutôt à prendre la porte, histoire de ne pas se retrouver en porte-à-faux avec leurs opinions…

Vous plissez des yeux pour voir loin ? Là, ça ne suffira pas. Car le lointain dont nous parle le long-termisme se situe des générations après nous. Et pourtant, il est de notre devoir de nous en préoccuper dès maintenant, avancent les tenants de cette philosophie. Au risque d’oublier nos contemporains ?

Et si notre cerveau était raciste, sexiste, âgiste, classiste, ou encore validiste ? Dans une petite vidéo, le neuroscientifique Albert Moukheiber nous parle biais cognitifs et discriminations.

Bonne lecture,

Sophie Gherardi

Photo © Xose Bouzas / Hans Lucas
19/04/2023