Chère lectrice, cher lecteur,

Quand Bernard Arnault a décidé de donner 10 millions d’euros aux Restos du cœur au bord de la faillite, il s’attendait peut-être à ce que son opération de sauvetage soit saluée. Après tout, l’association représente 35 % de l’aide alimentaire en France. Mais, à la place des lauriers, un tollé. De quoi se demander si ce coup de com’ était dans son intérêt…

Sur les réseaux, un autre chiffre circule : 0,0048 %, soit le rapport entre le montant du chèque signé par le milliardaire et sa fortune qui s’élève à plus de 200 milliards d’euros. « Comme si un smicard publiait un communiqué de presse pour annoncer qu’il va filer 5 ou 10 euros aux Restos du cœur ! Ridicule… », signale le compte Instagram Cerveaux_non_disponibles. « Sinon, il existe les impôts », lance une internaute sur LinkedIn. L’homme le plus riche du monde ferait presque pitié : LVMH n’est-il pas le premier recruteur du pays (15 000 embauches en 2022) ? L’empire paie 50 % de ses impôts en France, alors que le pays ne représente que 10 % de ses ventes. A priori, plutôt réglo !

Peuchère Nanard, impitoyable, la société ? Une chose est sûre : l’ultrariche fait office de bouc émissaire. Et pas de rédemption possible, tant nous sommes devenus intolérants à tout mécanisme de compensation. Tout se passe comme si la reconnaissance morale était uniquement conditionnée par la cohérence. Rien ne sert d’essayer de se racheter, il faut cesser ! C’est la même logique qui est au cœur des procès en greenwashing : quand une entreprise émet une quantité d’émissions abjecte, peu importe la quantité d’arbres qu’elle plante pour compenser.

 

“L’allergie à la philanthropie des fortunés manifeste un principe de plus en plus prégnant : celui de la décence”

 

La cause de ce puritanisme est claire : le niveau des inégalités. En 2021, 5 % des ménages les plus riches détenaient 34 % du patrimoine, et 1 % en détenait 15 % – alors que 14 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. En fait, l’allergie à la philanthropie des fortunés manifeste un principe de plus en plus prégnant : celui de la décence. On peut le résumer ainsi : que les bénéficiaires d’un ordre injuste n’aient pas le toupet de tendre la main à ceux qu’ils ont affamés. Qu’ils aient la correction d’endosser leur sale réputation – ce stigmate de « cause-de-tous-les-maux », c’est le prix à payer pour leur fortune. Résultat : les ultrariches sont ostracisés du terrain de l’éthique, irradiés de l’ordre des bienfaiteurs. Pour eux, pas de salut envisageable ! D’ailleurs, quand LVMH sponsorise les jeux Olympiques, bien plus controversés que les Restos du cœur, les réactions sont discrètes.

À partir de là, on voit se dessiner une inadéquation entre les opinions publiques et le système d’aide alimentaire actuel. Aujourd’hui, ce dernier revient aux associations – l’État ne distribue pas de gamelles. Et pour Tocqueville, c’est très bien ainsi. Dans son Mémoire sur le paupérisme (1835), il veut démontrer que la cohésion sociale et le niveau de vie se portent mieux quand l’assistance revient aux associations. Pour lui, l’aumône est chose noble. Mais dès lors que les classes pauvres, plutôt que de mendier, cherchent à faire valoir un droit, leur moralité se dégrade. Leur niveau de vie aussi : ils perdent leur « esprit de prévoyance et d’épargne ». Tocqueville ajoute qu’une « charité légale », c’est-à-dire publique, est humiliante, puisque fondée sur une « infériorité reconnue ». Ce type d’argumentaire sous-tend certainement le modèle d’assistance français : si l’État régalien est officieusement nourricier – via ses subventions à des associations et la défiscalisation de dons –, il ne doit l’être ni officiellement, ni complètement. 

Seulement, depuis l’Amérique de Tocqueville, les choses ont changé. Les associations n’ont plus de sous – le lendemain de la mise en garde des Restos du cœur, la Croix-Rouge aussi jetait une bouteille à la mer. Surtout, le problème de la pauvreté a fusionné avec celui de l’ultrarichesse. Là où Tocqueville insiste sur la nécessité de maintenir une relation incarnée entre les riches qui aident et les pauvres qui mendient, ce lien relève aujourd’hui de l’indécence. Là où Tocqueville considère qu’il faut éviter de « dépersonnaliser » la solidarité via des allocations publiques anonymes, on refuse aujourd’hui que des dons privés ostentatoires occultent la véritable cause des inégalités. Enfin, là où Tocqueville considère que le droit à la sécurité est humiliant puisque fondé sur une « infériorité reconnue », le « droit à secourir » officialise désormais une « supériorité reconnue » et humilie ceux qui le font valoir. L’inconvénient d’être ultrariche ? Ne plus pouvoir faire de cadeaux à n’importe qui ! 

 

 

BtoB, ASAP, prospects, call, GTM… ce jargon vous sort par les trous de nez ? Pour rester calme face à l’invasion des sigles et des anglicismes, lisez cet essai. Vous comprendrez mieux l’intérêt que peut avoir ce charabia pour ses locuteurs…

En parlant de jargon, avez-vous déjà entendu parler des « chief heat officers » ? Ils ont pour mission de trouver des moyens de refroidir les villes à l’heure du réchauffement climatique. Et si on faisait pareil en entreprise ?

Là-bas aussi, c’est chaud, mais pour d’autres raisons : la Chine traverse actuellement une période de crise économique. Avec le spécialiste Éric Sautedé, on se demande si ce déséquilibre ne se traduit pas également par une crise du travail.

Enfin, soufflez un bon coup en regardant la vidéo d’Albert Moukheiber sur le stress. Peut-il y avoir un stress positif ? Comment le combattre quand il devient pathologique ? Réponse en images !

Bonne lecture, 

Athénaïs Gagey

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06/09/2023 (Mis à jour le 18/09/2023)