Chère lectrice, cher lecteur,

Connaissez-vous le « test de la tasse de café » ? Il consiste à offrir un café à un candidat en entretien, pour observer s’il propose spontanément de la débarrasser en sortant. Lorsqu’un collègue nous en a parlé l’autre jour, il nous a fait découvrir le vaste univers des « tests cachés ». La plupart n’ont certes rien de scandaleux. Certains ne demandent que du bon sens : si un recruteur vous fait le « test du déjeuner » au pied levé, évitez l’alcool. D’autres constituent des légendes urbaines, comme ce « test de la chaise », où le candidat serait évalué sur son degré de tolérance à une assise instable. D’autres, enfin, relèvent de la décence : j’aime particulièrement le « test de la réceptionniste », très biblique, où une chargée de recrutement est en fait déguisée en hôtesse d’accueil. Mais qu’en est-il lorsqu’un recruteur fait plancher le candidat sur un exercice infaisable pour jauger sa clairvoyance, ou qu’il part abruptement en plein entretien pour tester son sang-froid ? Ces évaluations secrètes sont-elles des exemples de manipulation sournoise, ou des tactiques d’évaluation parfaitement justes ?

Sur cette question, deux camps s’affrontent. D’un côté, les indignés qui crient à la dissimulation : il serait immoral de choisir un candidat sur des critères dépassant le contenu explicite de l’entretien. Pour eux, on doit la transparence aux gens que l’on évalue : c’est une question de respect ! Ils défendraient, avec Emmanuel Kant, qu’« une action accomplie par devoir tire sa valeur morale non pas du but qui doit être atteint par elle, mais de la maxime d’après laquelle elle est décidée ». En clair : si la « maxime » à partir de laquelle on agit, c’est-à-dire notre intention, est de piéger le candidat, alors l’action tout entière est blâmable, même si ses conséquences sont bénéfiques pour l’entreprise. Omettre de signaler que la personne est évaluée, c’est déjà lui mentir. Le droit du travail donne plutôt raison à ces indignés : si un recruteur a le droit de faire passer des tests à un candidat, il se doit d’être transparent et d’avoir son consentement, en l’informant, « préalablement à leur mise en oeuvre, des méthodes et techniques d’aide au recrutement utilisées à son égard ».

 

“Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message”

—Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson

 

De l’autre côté, les convaincus s’insurgent : quelle hypocrisie de prétendre que tout, dans l’évaluation, pourrait être explicité ! C’est le jeu : à partir du moment où nous entrons en processus de recrutement, nous savons que nous sommes en situation d’évaluation, au-delà de l’entretien proprement dit. Comme le formulent Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson, trois penseurs de l’école de Palo Alto, dans Une logique de la communication (1967), il n’existe pas de « non-comportement » : « Activité ou inactivité, parole ou silence, tout a valeur de message. » Tasse négligée, tasse rangée : ce ne sont pas des détails, mais une pièce du puzzle que le recruteur essaye de reconstituer pour prendre une décision. Idem pour la manière de s’habiller, de se tenir, de saluer : les tests cachés sont simplement l’extension de l’entretien par d’autres moyens.

Si ces débats sont si difficiles à trancher, c’est qu’ils soulèvent une question plus épineuse : qu’évalue-t-on, au juste, lors d’un processus de recrutement ? Un ensemble de compétences ou une personne ? Les compétences, ça s’explicite et ça se travaille. Une personne, ça s’observe in vivo. En réalité, impossible de trancher : fondamentalement ambivalent, le travail est en même temps une relation instrumentale et une relation interpersonnelle. Instrumentale, car une entreprise a toujours un but précis qu’elle s’emploie à réaliser à l’aide des compétences de ses membres. En ce sens, nous sommes tous remplaçables, car d’autres pourraient faire grosso modo la même chose que nous – tant mieux, sinon, pas de congés ! Interpersonnelle, car une équipe qui marche est toujours construite sur un équilibre entre des styles de communication, des valeurs, des méthodes de travail, des caractères différents. En entretien, on est donc à la fois jugé sur l’aptitude à effectuer des tâches et sur la capacité à intégrer durablement un collectif.

Mais comment apprécier les engagements d’une personne ou son éthique de travail en quelques entretiens chronométrés ? Pour essayer de contourner cette impasse, on fait entrer en scène ces tests cachés, mais aussi des tests de personnalité, des entretiens d’embauche en salle d’escape game, voire les signes du zodiaque. Le but ? Frôler la limite de ce que le candidat peut contrôler, pour récolter de l’information qui n’a pas encore été passée à la moulinette des discours remâchés. Sauf qu’aucune épreuve secrète ne livrera jamais la vérité ultime sur une personne. Aucun script pervers ne peut immuniser les RH contre une « erreur de casting ». Pour qu’un entretien soit une véritable rencontre et pas une course d’obstacles pour clones paranoïaques à l’affût du moindre « test caché », commençons donc par assumer ce résidu de contingence qui persiste même dans le process le plus déshumanisé : l’intuition.

 

 

Ils l’ont peut-être caché lors de leur entretien d’embauche, mais aujourd’hui, la part de salariés qui sont également les aidants d’un proche est loin d’être négligeable. Comment gèrent-ils ces deux rôles ? L’entreprise devrait-elle les aider ? Enquête.

La transition énergétique serait-elle un leurre ? C’est l’avis de l’historien Jean-Baptiste Fressoz, qui observe qu’aucune énergie ne s’est jamais substituée à une autre jusqu’à présent – au contraire. Entretien.

Inutiles, pas écolos, pas réglo : faut-il faire la guerre aux goodies ? On s’est posé la question.

Cyberparano, vous ? Mais non, enfin, vous êtes juste lucide… ? Allez, faites notre test pour découvrir votre position face à la surveillance numérique – et le philosophe qui vous représente le mieux !

Bonne lecture,

Apolline Guillot

Photo © possum1961 / iStockphoto
04/10/2023 (Mis à jour le 09/10/2023)