Dans La Tech. Quand la Silicon Valley refait le monde (Seuil, 2023), le sociologue Olivier Alexandre raconte le fruit de sa longue et inédite immersion au paradis des nouvelles technologies. Il suit le rythme effréné de ces humains derrière la tech, entre innovations et vie quotidienne au cœur de la Silicon Valley, pour tenter d’en comprendre l’esprit. Entretien.

Propos recueillis par Nicolas Gastineau.

 

Comment caractériser tous ces gens que vous avez rencontrés, qui vivent et travaillent dans la Silicon Valley ?

Olivier Alexandre : La Silicon Valley est une masse difficile à saisir, car hétéroclite et en constante évolution. C’est une population en croissance, avec un fort taux d’immigrés, une importante division du travail et une grande diversité de professions, mais l’unité se fait autour de ce qu’ils appellent une « mentalité » ou une « culture ». J’ai essayé de prendre au sérieux cette manière qu’ils avaient toujours de se définir, à savoir comme des « makers »  [faiseurs, ndlr] et des « builders » [constructeurs, ndlr].

Pour comprendre ce que cela recouvre, il faut repartir de la rupture au politique introduite par les technologistes. La conception institutionnelle de la politique ne les intéresse pas. Leur approche, qui leur paraît beaucoup plus démocratique, consiste à transformer le monde par le « faire », les solutions, le développement technologique. Du coup, la Silicon Valley n’a de cesse de se projeter dans le temps, en anticipant les futures innovations, à l’échelle mondiale.

 

“Dans la Silicon Valley, tout tend vers l’efficacité maximale de l’organisation du temps”

 

Justement, ce rapport au temps devient le mode d’organisation de toute la Silicon Valley, que vous décrivez comme un « fast space » [espace rapide, ndlr]. De quoi s’agit-il ?

Il faut distinguer plusieurs niveaux et leur imbrication. Au plus petit niveau, on observe une série de conventions de la vie quotidienne : les rendez-vous doivent être rapides, tout comme les appels téléphoniques et les pitchs de projets entrepreneuriaux. Les solutions que la Silicon Valley produit et dont elle est la première consommatrice alimentent une même dynamique. Microblogging, mail, solutions d’IA [intelligence artificielle, ndlr] automatisées, interfaces, gestion client : tout tend vers l’efficacité maximale de l’organisation du temps.

Au niveau intermédiaire, l’architecture des deals entre entrepreneurs et investisseurs joue un rôle déterminant. J’emploie le pluriel masculin parce que ce sont essentiellement des hommes. Il faut convaincre très vite car il y a beaucoup de propositions sur un même domaine et un des enjeux de la réussite est de s’engager très tôt avec les bonnes personnes. Au bout de 18 mois, les investisseurs attendent une multiplication par deux des indicateurs (nombre d’utilisateurs, capacité de production, etc). C’est la loi de Moore, qui n’est pas tant une loi qu’une prophétie autoréalisatrice.

Puis, dans une échelle de temps comprise entre quatre et huit ans (huit ans étant le cycle maximum d’investissement des fonds de capital-risque), les investisseurs attendent une entrée en bourse d’une entreprise de leur portefeuille, ce qui leur fera remporter la mise. Telle est la conception et la temporalité du succès dans la Silicon Valley – des succès qui demeurent une rareté, rappelons-le.

 

Justement, on entend souvent que les cadres de la Silicon Valley ne laissent pas leurs propres enfants grandir avec trop d’écrans, et qu’ils sont paradoxalement plus soucieux que nous des conséquences de leurs inventions.

L’une des revendications historiques des travailleurs de la Silicon Valley, c’est que les autorités autorisent les écoles privées déterminant leur propre programme. Dans ces écoles, parfois adossées directement à des entreprises, il y a peu d’écrans et la pédagogie est axée sur le « faire » dans son sens artisanal : tricot, cuisine, travaux manuels en général. Les entrepreneurs et travailleurs de la tech sont très informés et s’intéressent de près aux sciences cognitives, au développement du cerveau. Ils connaissent

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