Chères lectrices, chers lecteurs,
Vous êtes sous l’eau ? Moi aussi, littéralement. Je veux dire, le temps de midi, je me rends à la piscine. Et à voir la saturation des bassins, je ne suis pas le seul. Une pratique saugrenue : se déplacer, se changer, se doucher, se jeter dans l’eau (froide) pas toujours ragoûtante, se doucher de nouveau, se rechanger, se redéplacer, engloutir un repas vite fait, se remettre devant son écran. Parmi les 56 % des salariés souhaitant faire du sport sur leur lieu de travail, selon un sondage réalisé par Harris Interactive en 2017, les travailleurs amphibiens suscitent l’interrogation : pourquoi se donner autant de mal, alors qu’ils pourraient se contenter d’une simple séance de sport en fin de journée, comme tout le monde ?
Parce que ça fait du bien, pardi ! Les bienfaits de la nage ne sont plus à démontrer : meilleure circulation du sang, réduction du stress, atténuation de la douleur musculaire... Sans parler des vertus méditatives d’enchaîner les longueurs. Au vu de toutes les études sur le sujet, il est même étonnant que nous ne soyons pas tous déjà accros aux pauses dej’ chlorées. Si bien qu’une ethnographe new-yorkaise défendait récemment un droit universel à se baigner !
Vraiment ? C’est à croire que ces chercheurs n’ont jamais mis ne fût-ce qu’un doigt de pied dans une piscine municipale ! Entre les orteils du voisin devant moi, les cris des enfants et mon souffle qui peine à la tâche – quand je ne bois pas la tasse ! –, point de salut pour mon moment méditatif ! De quoi nous rappeler que le mot « piscine » vient du latin du latin « piscina », littéralement un vivier… pour poissons. C’est vrai que la piscine a tout d’un bac saumâtre où gigotent des sardines humaines.
“Nager est un exercice de désencombrement narcissique”
—Laurence Devillairs
Si ce n’est pas pour la solitude méditative, pourquoi la piscine méridienne continue-t-elle d’attirer tant de marins d’eau douce comme moi-même, au point que nous y sacrifions parfois le temps de manger ? Pour la philosophe Laurence Devillairs, il y a dans le processus de la mise à l’eau « un exercice de désencombrement narcissique » (Petite philosophie de la mer, Éd. de la Martinière, 2022). En laissant au vestiaire vêtements et bijoux, masquant jusqu’à nos cheveux sous un infâme bonnet, les différences individuelles sont noyées dans le grand tout : dans le bassin, plus rien ne distingue le PDG de l’employé. Par la nage, « je renonce à l’impératif d’être un objectif que je me suis fixé, de me forger une personnalité comme un produit que j’irais vendre sur les marchés ». Qu’est-ce qu’on y gagne ? « La liberté, l’apesanteur – et un soupçon d’éternité », écrit-elle.
Ici, ce n’est pas d’une liberté intellectuelle, abstraite, qu’il est question, mais de la liberté pure et simple de se mouvoir. Pour Maine de Biran, un philosophe français du XIXe siècle, c’est même l’effort, bien plus que la pensée si chère à Descartes, qui atteste le mieux de mon existence. Je m’efforce, donc je suis. Dans la nage, seule la relation d’un effort à une résistance « s’effectuant librement » demeure. Au vestiaire, les choix complexes, la surcharge informationnelle, les regrets et les angoisses ! En plongeant, j’entre dans le régime de la pure présence d’un « sentiment intime d’une force vivante » (Mémoire sur la décomposition de la pensée, 1804).
Pas étonnant que tant de professions assises – pour ne pas dire « intellectuelles » – se réfugient dans l’exercice physique pendant leur pause déjeuner ! Le sport est par ailleurs tout bénéfique pour les entreprises : une étude menée par Goodwill management auprès de plus de 200 entreprises en 2016 pointe qu’un salarié se mettant au sport augmente sa productivité de 6 à 9 %. Mais peut-être plus que tout autre sport, la nage réveille cette liberté dont nous parle Biran, qui « n’est autre chose que le sentiment même de notre propre activité » (Essai sur les fondements de la psychologie, 1812). Par mes pieds et mes mains qui n’ont de cesse de s’ébrouer et de s’écrouler dans le clapot insoucieux des flots, la nage est à l’image de la vie terrestre laborieuse : l’exercice incessamment recommencé d’un libre effort d’exister. Rien que ça.
Et tant pis si le bassin saturé ne vaut pas une mer azurée : il permet, le temps d’une heure prise à la sauvette, de renouer avec un rapport vivant au corps, le tout dans une indifférenciation sociale salvatrice. Le temps d’une ou deux brassées, ne plus être qu’une simple grenouille… parmi les autres.
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Bonne lecture,
Alexandre Jadin