Chère lectrice, cher lecteur,
J’ai longtemps cru que j’étais stressée. Sur le papier, ça se tenait : sensation de malaise, agitation, tremblements intempestifs, tachycardie, nervosité, les symptômes étaient là. Jusqu’à ce que je comprenne je n’étais pas stressée, mais anxieuse. Et loin d’être la seule. D’après une récente étude Alan/Harris Interactive, révélée en avril par Le Monde, un manager sur deux se dit « angoissé », contre un tiers des non-encadrants. Et, nuance, ils sont 68 % à se déclarer « actuellement stressés ». Plus de stress, donc, que d’anxiété.
La différence est de taille : le stress est une réaction de mise en alerte de notre corps face à un danger réel. L’anxiété, elle, réside dans l’anticipation d’un danger, réel ou imaginaire. Dans le cas de troubles anxieux (qui touchent jusqu’à une personne sur cinq au cours d’une vie), cette anxiété prend des proportions démesurées par rapport à son objet. Devenue toile de fond de la vie de l’anxieux, elle est à l’origine d’un malaise permanent, qui peut être ponctué de crises aiguës dont les symptômes ressemblent à ceux du stress. Grosso modo : si je transpire à grosses gouttes avant une prise de parole en public, je suis vraisemblablement juste stressé ; mais si je passe une semaine à mal dormir en vue de cette présentation, alors je suis anxieux.
L’anxiété serait ainsi la petite sœur de l’angoisse, avec laquelle elle est confondue, et que les philosophes ont souvent associée à des motifs existentiels. Kierkegaard, dans Le Concept d’angoisse (1844), rappelle qu’elle est « tout à fait différente de la crainte et de notions similaires, qui se réfèrent à quelque chose de déterminé », à l’instar du stress. L’angoisse, elle, « est la réalité de la liberté comme possibilité pour la possibilité ». C’est ce sentiment profondément humain d’éprouver sa propre liberté comme une possibilité que l’on peut saisir. L’anxiété a ceci de commun avec l’angoisse existentielle décrite par Kierkegaard qu’elle ne se limite pas à un seul objet et qu’elle peut tétaniser l’individu par le nombre des possibles qui s’offrent à lui.
Pourquoi s’intéresser à cette nuance ? Parce que vous ne pouvez pas aider un collègue anxieux de la même manière qu’un collègue stressé. Pour le stress, c’est simple : si le malaise vient d’une surcharge de travail ou d’une prise de parole importante, vous pouvez essayer de l’aider en le soulageant d’une partie de ses tâches ou en le rassurant sur ses compétences.
Avec l’anxieux, ces réponses de bon sens ne vont pas forcément fonctionner. Car l’anxiété se joue sur le terrain de l’irrationnel. Si vous entrez dans son jeu en prenant ses inquiétudes au sérieux, avec des réponses rationnelles, vous risquez d’empirer la situation. Mon sujet d’inquiétude est bien réel, se dit l’anxieux, c’est donc que j’ai raison d’avoir peur ! Pour autant, il ne s’agit pas non plus d’écarter la peur de l’anxieux d’un revers de main ou pire, de s’en moquer. Si cette réaction pourrait paradoxalement en rassurer certains (« S’il se moque, c’est que je n’ai pas de raison de me prendre la tête »), elle pourrait tout aussi bien en paniquer d’autres (« Je suis seul, personne ne m’écoute »).
En vérité, chaque personne anxieuse fonctionne de manière différente. Si vous notez qu’un collègue s’enferme dans des boucles de pensées envahissantes sur des sujets qui peuvent vous sembler anodins, le mieux est encore de lui apporter votre écoute et votre empathie. Dans un second temps, s’il est disposé à échanger avec vous sur ce sujet, vous pouvez lui demander ce qu’il préfère que vous fassiez quand il ne va pas bien : essayer de l’aider, d’une façon qu’il saura peut-être vous indiquer, ou vous tenir à l’écart.
“L’anxieux a peur qu’un événement arrive ; lorsque la crise est là, la peur n’a plus lieu d’être, car son objet s’est déjà réalisé”
À ce stade, vous vous dites peut-être que travailler avec un anxieux semble relever du fardeau. Mais vous auriez tort, car si l’anxiété peut être handicapante, elle peut aussi être un atout dans une équipe. Par exemple, un collègue anxieux peut être un maître de l’organisation : parce qu’il anticipe tout ce qui pourrait mal se passer, il saura s’arranger pour être sûr que tout roule. Même en cas de pépin, il rendra toujours son travail dans les délais !
Anxiété peut aussi rimer avec sang-froid. L’anxieux a peur qu’un événement arrive ; lorsque la crise est là, la peur n’a plus lieu d’être, car son objet s’est déjà réalisé. Peut-être vaut-il mieux, par exemple, avoir un informaticien angoissé que trop confiant : il se sera renseigné et aura mis en place les bonnes mesures de prévention pour, en cas de cyberattaque, savoir bien réagir, et limiter les dégâts. En somme, l’anxieux peut être relativement immunisé au stress – voire, heureux de s’y soumettre. Toute l’énergie qu’il déploie d’ordinaire pour se prémunir de dangers virtuels sera redéployé pour gérer la crise, bien réelle. Cela peut même le libérer temporairement de ses autres angoisses (qui reviendront au galop, une fois l’urgence passée).
Vous le voyez, stress et anxiété n’ont finalement pas grand-chose à voir. Et maintenant que j’ai relu quinze fois cette newsletter pour vérifier qu’elle ne comportait pas d’erreur, il est temps pour moi de prendre une grande respiration et d’appuyer sur « envoyer » !
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Bonne lecture,
Mariette Thom