On les appelle les « mobilités douces ». Et pourtant, le sont-elles vraiment ? Qui ne s’est pas déjà fait enguirlander par un cycliste, qui n’a pas déjà frôlé la collision avec une trottinette ? On le constate : si les automobilistes perdent du terrain en ville, on ne gagne pas pour autant en civilité, ni en sérénité. Pourquoi ? Et comment sortir de cette impasse ? Alors qu’Anne Hidalgo annonçait récemment la création d’un « code de la rue parisien », Apolline Guillot, inspirée par Hegel, plaide pour une nouvelle éthique des usagers de la route.
Une révolution est à l’œuvre dans les grandes villes. Nous entrons dans une période de déséquilibre en faveur des cyclistes, après une parenthèse durant laquelle le paysage urbain a été façonné par et pour les automobilistes, affirme Alexis Frémeaux, président de l’association « Mieux se déplacer à bicyclette » (MDB). Cette parenthèse a débuté dans les années 1930, lorsque la voiture passe du statut de loisir sportif à celui de moyen de transport de masse, et culminé dans les années 1970.
Selon l’historien Peter Norton, spécialisé dans l’histoire des mobilités urbaines, jusqu’à l’arrivée des voitures, la rue était considérée comme « un espace public, ouvert à quiconque ne mettait pas en danger ou ne gênait pas les autres usagers ». Ainsi, avant l’apparition des automobiles, les rues accueillaient avec succès des modes de transport très différents, notamment les piétons, les chevaux et, plus tard, les tramways. Ces trois modes n’ont en apparence rien à voir. Pourtant ils cohabitaient, en partie parce qu’ils se déplaçaient à peu près à la même vitesse. Les automobiles, elles, ont été conçues pour la vitesse. Conduire suffisamment lentement pour rester compatible avec les rues à usages multiples revient à nier l’objectif même de l’achat d’un véhicule. Ainsi, « les attributs essentiels de l’automobile (vitesse, agilité) la mettent en contradiction avec ce qui est perçu à l’époque comme l’utilisation légitime de la rue ».
Pour faire bouger ces perceptions, les automobilistes ont entrepris un travail sur les représentations communes. « Avant que la rue de la ville puisse être physiquement reconstruite pour accueillir des véhicules à moteur, ajoute Norton, elle devait d’abord être socialement reconstruite comme une voie de circulation automobile. » Notamment par la redéfinition d’une occupation légitime et illégitime de la chaussée. Norton étudie l’émergence du terme de « jaywalker », qu’on pourrait traduire par « piéton voyou », pour qualifier les piétons qui se trouvent sur la route. Progressivement, la rue devient un lieu de transit rapide et dangereux : on cesse d’y voir traîner des enfants et des commerçants à la sauvette. Bientôt, ce ne sont plus les automobiles qui doivent ralentir ou s’adapter aux différentes temporalités coexistantes sur la route, mais les autres usagers qui ont un devoir de vigilance constante.
“Après un demi-siècle d’hégémonie, l’automobile a imprimé ses valeurs dans chaque recoin des villes”
Le chaos de la chaussée
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