EN BREF
Le brand hiding est une stratégie marketing qui consiste à masquer (hide) la marque (brand) de certains produits derrière celle de filiales plus éthiques.
D’OÙ ÇA VIENT ?
Formulé en 2021 par Alexis Canto, expert en marketing et entrepreneur, le terme brand hiding ou « dissimulation de marque » est construit sur le même modèle que le greenwashing ou l’ethicwashing, des mots qui font référence à l’expression anglaise « brainwashing », qui signifie « lavage de cerveau ». Ces néologismes décrivent les trucs et astuces qu’utilisent les marques pour nous vendre leurs produits, coûte que coûte.
Désignant à la fois ces marques qui dissimulent leur logo, qui rachètent des petites enseignes ou qui créent des sous-marques génériques, le brand hiding est une réponse majeure du marketing à l’évolution de notre manière de consommer. Prenant acte de la volonté d’une consommation plus authentique, plus écologique, plus naturelle ou encore plus locale, des marques au capital sympathie écologie proche de zéro investissent dans ou fondent des « sous-marques » qui seront leur double écolo-sympathique. Leur but ? Récupérer ici ce qu’ils perdent là, dans un insidieux jeu de dissimulation.
UN EXEMPLE ?
Qu’elles sont mignonnes les petites bouteilles Innocent ! Les quatre-vingt-dix centilitres affichés auraient pourtant dû vous mettre la puce à l’oreille : il s’agit bien d’un énième tentacule du géant The Coca-Cola Company. Le phénomène du brand hiding ne touche pas que le domaine de l’alimentaire (Danone derrière Michel&Augustin), mais touche aussi la mode (H&M derrière Cos) ou encore l’automobile (Volvo derrière Lynk&Co). Cachez-moi ces produits carbonés que je ne saurais voir !
ET ENSUITE ?
Vous vous sentez mal en achetant votre pack de bouteilles de coca en plastique ? C’est que vous avez honte de consommer. De trop consommer, mais aussi de mal consommer pour vous, pour l’environnement, pour les autres. Dans son ouvrage La Honte est un sentiment révolutionnaire (Albin Michel, 2021), le philosophe Frédéric Gros soutient que la honte, loin d’être un sentiment de contrition, soulève les passions et engage à l’action. Si la honte n’est ainsi pas honteuse elle-même, c’est qu’elle nous pousse à prendre position.
Embarrassé par ma caisse de cocas, je vais me rabattre sur de nouveaux produits que je pourrai fièrement assumer en caisse, qui se revendiquent plus authentiques, naturels, locaux. Alors que bien souvent, derrière des packagings titillant votre thunbergisme intériorisé, se cachent ces mêmes marques et méthodes de production qui vous font tant rougir.
Mais sommes-nous dupes, au fond, de ces produits soi-disant plus vertueux qui nous déculpabilisent moyennant 1 ou 2 € de plus ? Dans La Tentation de l’innocence, Pascal Bruckner (Grasset 1995) se livre à une critique acerbe de nos motivations morales. Selon lui, nous sommes tous en quête d’innocence, « cette maladie de l’individualisme qui consiste à vouloir échapper aux conséquences de ses actes, cette tentative de jouir des bénéfices de la liberté sans souffrir aucun de ses inconvénients ».
Nous faire passer de la honte à l’innocence : tel est le programme des stratégies marketing qui se livrent au brand hiding. En nous réconciliant avec la consommation, elles témoignent par ailleurs d’une faculté d’adaptation extraordinaire. Toujours selon Bruckner, la publicité consumériste est « caméléonne » : elle s’apparente à « un estomac capable de digérer n’importe quoi, un code insubmersible qui récupère sa propre contestation afin de mieux ressusciter ». Au fond de nous, nous savons que derrière l’apparente transparence authentique d’un produit, se cache une manigance sur laquelle nous jetons un voile d’innocence.
ET CONCRÈTEMENT ?
Malgré l’efficacité de cette stratégie marketing, le brand hiding peut avoir un terrible revers. Si un consommateur découvre l’opération dissimulatrice, il aura le désagréable sentiment d’avoir été trompé, jusque dans ses convictions les plus intimes ! À ce jeu-là, mieux vaut peut-être encore jouer la carte d’un discret logo, entre la lichette d’ouverture et la date de péremption.