Chère lectrice, cher lecteur,

J’ai beau tenter de retenir ma langue, c’est plus fort que moi : j’ai tendance à parler trop vite. Quitte à enchaîner avec un tombereau d’excuses plus bancales les unes que les autres. À suivre les tortillements contrits de la ministre Amélie Oudéa-Castéra après qu’elle a critiqué l’école publique dont elle a désormais la responsabilité, je ne semble pas être pas le seul. Après la justification maladroite de son choix de placer ses enfants dans le privé, le mea culpa n’a pas tardé : hier au micro de BFMTV, elle expliquait avoir « pu revenir sur ces excuses » qu’elle devait aux enseignants de l’école Littré, du reste indûment incriminés, comme l’a révélé Libération. Pourtant, malgré les excuses, la polémique ne retombe pas.

Et ça ne concerne pas que la politique, mais le monde économique aussi. Entre autres exemples d’excuses inefficaces, rappelons celles de Martin Winterkorn, ancien PDG du groupe Volkswagen, accusé en 2015 d’avoir trafiqué le calcul des émissions polluantes de ses véhicules. Quelques mois plus tard, il posait sa démission alors que le scandale ne cessait d’enfler. À une époque où l’on est censé ne plus rougir de ses bourdes et savoir exposer sa vulnérabilité – y compris quand on est au pouvoir –, l’inefficacité de ces excuses publiques peut sembler paradoxale. Mais qu’est-ce qui rend cet exercice aussi périlleux ?

S’excuser, c’est avant toute chose reconnaître la faute que l’on a commise. Stendhal avait resserré cette idée dans une formule de son livre Le Rouge et le Noir (1830) : « qui s’excuse s’accuse ». Avant que l’excuse n’advienne, il demeure un doute ; une fois qu’elle est déroulée, difficile de nier sa culpabilité.

 

“Quelques-uns […] s’entendent à la ruse malpropre de transformer toute injustice qu’ils ont commise en une injustice qui leur a été faite”

—Friedrich Nietzsche

 

Encore faut-il que vos excuses soient acceptées comme telles, et pas comme une tentative de manipulation. En effet, l’excuse a tôt fait d’être considérée comme une volonté d’annuler le fait accompli – voire comme une tentative de renversement de la situation qui ôte de sa légitimité à l’indignation de l’offensé. C’est pourquoi, selon Nietzsche, l’excuse est délicate. Le fautif doit s’y prendre « très habilement, explique le philosophe, car autrement il risque de nous persuader que c’est nous qui sommes fautifs, ce qui nous produit une impression très désagréable » (Humain, trop humain, 1878). Une technique de renversement adoptée par « quelques-uns, et ils ne sont pas un petit nombre, [qui] s’entendent à la ruse malpropre de transformer toute injustice qu’ils ont commise en une injustice qui leur a été faite ». En se positionnant en victimes – d’une vindicte, d’une polémique ou encore d’une déformation des faits –, les auteurs d’une faute parviennent « à se réserver, pour excuser ce qu’ils ont fait, le droit exceptionnel de la légitime défense ».

Dans tous les cas, Nietzsche nous rappelle que l’excuse peut isoler. Qu’elle soit proférée avec honnêteté ou avec mauvaise foi, elle demeure un exercice solitaire. À la différence du pardon que l’on demande et que l’on peut ne pas recevoir, l’excuse a quelque chose d’irréfutable, presque d’autoritaire. Là où le pardon suppose un dialogue, l’excuse s’impose sans concession. L’excuse tend à clore le sujet, alors que pour certains elle ne fait que le commencer : « S’il croit que c’est avec des excuses que je vais oublier ce qu’il m’a fait… il peut rêver ! »

Face au risque de faire empirer les choses, la tentation « d’assumer » ses propos sans s’excuser peut être forte. Une tentation renforcée par une certaine injonction à la franchise, omniprésente au travail : dans le monde anglo-saxon, l’adjectif unapologetic (comprendre : ne pas s’excuser d’être là) est presque devenu synonyme de confiance en soi.

Dans les faits, une fois la polémique lancée, difficile d’échapper aux excuses. Même le président Macron, pourtant peu enclin à l’exercice, n’échappe pas à la règle. Alors ministre, il qualifiait en 2014 les salariées de l’abattoir Gad à Lampaul-Guimiliau d’« illettrées » avant de se confondre en excuses à l’Assemblée nationale en déclarant : « je ne m’excuserai jamais assez ».

Mais s’excuse-t-on jamais assez ? Il y a quelque chose d’inépuisable, presque d’impossible, dans l’excuse : comme si elle voulait annuler le passé. Pour en éviter les écueils, mieux vaut encore tourner sept fois sa langue dans sa bouche, plutôt que de lui faire prononcer sept fois une repentance aussi périlleuse qu’inévitable.

 

 

Un mauvais choix : c’est ce qu’a fait notre ministre. Pour éviter les regrets, Alexandre Lacroix préconise une nouvelle boussole de l’action : se laisser guider par la joie spinoziste.

En matière de carrière aussi, nos choix se laissent influencer par des idées préconçues : il faut devenir manager, être dispo H24… La chercheuse Emmanuelle Garbe analyse ce phénomène.

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Bonne lecture, 

Alexandre Jadin

Photo © golibtolibov / iStockphoto
17/01/2024 (Mis à jour le 06/02/2024)