C’est l’été, et à mesure que la température augmente dans les bureaux, les pieds ont tendance à se déchausser. Sandalettes, Birkenstock, chaussettes ou même pieds nus : certains osent tandis que d’autres, réticents ou obligés par un dress code rigide, suent dans leurs souliers vernis. Comment expliquer ces résistances ? Célia Decalonne esquisse une petite philosophie des petons… en forme de pied-de-nez à l’institution !

Depuis que Pierre arbore ses doigts de pied en réunion, le charme est rompu. Le surprendre pétrir machinalement ses orteils nous submerge d’émotions contradictoires, et ses soupirs d’aise nous gênent franchement. On en vient à préférer le combo chaussettes-chaussures même par trente degrés, avec ce sentiment à la fois absurde et rassurant de préserver notre intimité. Mais ce n’est pas vraiment de la faute de Pierre, qui cherche seulement à se mettre à l’aise. Si le pied nous révulse, c’est parce qu’il exerce une redoutable efficacité symbolique sur nos représentations collectives.

 

De l’indignité des pieds

Dans la plupart des cultures, y compris la nôtre, les parties du corps physique s’inscrivent au cœur d’un réseau d’analogies et de correspondances entre la nature et les représentations symboliques du monde. Dans la Grèce antique, le corps est arbitrairement divisé en plusieurs zones qui viennent fonder et exprimer le réel : les régions de la tête et des mains sont associées à l’intellect et à la technique, tandis que les pieds renvoient à la matière, à l’instinct et au sensible. Et puisque le pied est indigne, il faut le couvrir.

 

“Plus que la marche et la bipédie, la chaussure servirait de point de rupture symbolique entre l’homme et l’animal”

 

Dans un article de 2004 sous-titré The World Perceived Through the Feet (« Le monde perçu à travers les pieds » en français), l’anthropologue Tim Ingold attribue même à la nécessité occidentale de se distinguer des singes l’invention de la chaussure : plus que la marche et la bipédie, elle servirait de point de rupture symbolique entre l’homme et l’animal, venant nous signaler le « triomphe de l’intelligence sur l’instinct, de la domination de l’Homme sur la nature ».

Pas étonnant que le pied nu choque. Nous renvoyant en arrière, il devient un marqueur …

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