Chère lectrice, cher lecteur,

Votre boîte fonctionne en silos et vous n’avez pas un rond pour augmenter les transferts de compétences entre équipes ? L’idée va vous paraître saugrenue, mais… avez-vous déjà pensé à vous inspirer des stagiaires de troisième ? Nous en avons accueilli un l’autre jour dans nos bureaux, et voir mes collègues lui expliquer à tour de rôle ce qu’ils faisaient toute la journée m’a fait réaliser que je n’en avais moi-même pas la moindre idée. En cinq jours de présence, ce collégien en a plus appris sur le fonctionnement de mon entreprise que moi-même en plusieurs années !

Un stagiaire d’observation introduit un regard étranger au sein d’une entreprise. C’est un procédé courant en littérature : user d’un personnage étranger ou inculte pour inviter le lecteur à voir différemment la société dans laquelle il vit. Imaginons que, de la même manière, chaque salarié puisse à l’occasion faire une demi-journée d’observation dans d’autres services. Il verrait ainsi d’un œil nouveau son entreprise et le travail de ses collègues. In fine, chacun saurait exactement à qui s’adresser pour chaque problème et s’adapterait mieux aux impératifs de ses collègues. Sans parler des outils ou compétences dont on pourrait faire profiter son propre service : par exemple, ce logiciel d’organisation des tâches, ou ce service d’IA qui facilite l’écriture des e-mails.

Ces microstages internes seraient d’autant plus pertinents que l’accroissement du télétravail n’aide pas les entreprises à se décloisonner. Une étude publiée dans Nature Human Behaviour, menée sur 60 000 employés américains de Microsoft pendant la crise du Covid, a ainsi montré que le télétravail généralisé renforçait les silos en entreprise : les salariés communiquaient davantage avec leurs plus proches collaborateurs, moins avec les autres.

 

“Tout onboarding demeure un moment descendant où l’on explique comment fonctionnent les choses, sans laisser de place au pourquoi

 

Certes, nombre d’entreprises mettent un point d’honneur à soigner l’onboarding de leurs recrues – cet accompagnement initial, surtout administratif et logistique, qui permet d’embarquer les petits nouveaux. Et pour cause : l’engagement des salariés, leur bonne intégration et leurs performances en dépendent ! Cet onboarding peut notamment comporter une partie de « job shadowing », cette pratique qui consiste à suivre un professionnel comme son ombre pour découvrir son travail. Mais tout onboarding demeure un moment descendant où l’on explique comment fonctionnent les choses, sans laisser de place au pourquoi… et encore moins aux suggestions !

Ces moments d’observation en interne que je propose, que l’on pourrait baptiser « shadowing transversal », permettraient justement à l’entreprise de remettre en question ses pratiques. Dans la littérature, le regard étranger est souvent privilégié par les auteurs souhaitant pointer les absurdités et les défauts de la société. Le jeune Candide de Voltaire, par exemple, découvre de ses yeux naïfs que tout ne va pas si bien dans le « meilleur des mondes possibles » vendu par son maître Pangloss. Même processus dans Les Lettres persanes : Montesquieu fait souligner par ses héros voyageurs Usbek et Rica les innombrables contradictions de la société française du XVIIIe siècle. « Ceux qui l[a] composent n’ont d’autre fonction que de jaser sans cesse, constate Rica à propos de l’Académie Française. Voilà des bizarreries que l’on ne voit point dans notre Perse. »

Et c’est aussi ce que fait, sans le vouloir, notre candide collégien. Armé de la légitimité que son inexpérience lui confère, il se permet de questionner nos habitudes : pourquoi tu dis « vous » à Mélanie et pas à Charles ? Pourquoi tu téléphones à Hugo alors qu’il est deux bureaux plus loin ? Et nous voilà, bien après son départ, continuant à nous demander pourquoi, au fait, on travaille comme ça.

Loin de constituer une perte de temps, ce questionnement permet de débusquer les rigidités organisationnelles et de se débarrasser des process inutiles. Et n’est-ce pas exactement ce pour quoi on paie, fort cher d’ailleurs, des consultants ? Un collègue en shadowing transversal saura repérer des pratiques inefficaces et suggérer des pistes d’amélioration. Et il pourra, peut-être même mieux qu’un consultant, utiliser sa propre expertise pour transformer les méthodes de travail de ses collègues ! Ne pensez-vous pas que le regard d’un informaticien sur vos pratiques vous permettrait d’utiliser vos outils de manière plus efficace ? Que le comptable vous ferait découvrir des pans de votre travail que vous n’aviez même pas interrogés en arrivant ?

« Il faut cultiver notre jardin », conclut Candide depuis sa métairie, au terme de ses péripéties qui lui ont fait traverser plusieurs continents, réchapper à des guerres, des autodafés, des exécutions et un tremblement de terre, mais aussi découvrir l’Eldorado où règnent la paix et l’abondance, tout en sauvant au passage sa Cunégonde de l’esclavage. Comme la ferme de Candide, votre entreprise recèle sans aucun doute des ressources insoupçonnées, des salariés dont l’expérience, les compétences et l’esprit critique moisissent au sein d’un silo. Avant d’aller chercher des solutions dans le monde extérieur, commencez donc par cultiver votre jardin !

 

Certains cherchent à décloisonner leur entreprise… et d’autres, à séparer les gros caractères de leurs équipes ! Comment gérer les conflits en entreprise ? Que disent-ils de nous ? Maxime Rovere nous éclaire dans un entretien.

Ils passent devant nous en un éclair, depuis leur cabine de métro ou de TGV. Avez-vous déjà rêvé de vous glisser dans la locomotive, en compagnie du conducteur ? Notre journaliste Samuel Lacroix a passé pour vous 24 heures avec un de ces « mécanos » ! Reportage.

Autoentrepreneur… ou juste précaire ? La transition paraît rapide, mais la réalité est bel et bien brutale pour nombre d’entre eux. C’est ce que décrit la notion d’« entreprécaire », que l’on dissèque pour vous dans un kézako.

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Bonne lecture, 

Mariette Thom

Photo © Vale Zmeykov / Unsplash
21/02/2024 (Mis à jour le 29/02/2024)