Plus qu’un argument marketing, « être authentique » est devenu une compétence recherchée par les managers. D’où vient cette exigence ? Y a-t-il une seule façon d’être authentique ? Est-ce seulement souhaitable ? Athénaïs Gagey revient sur cette notion, en puisant dans la philosophie de Rousseau et de Gilles Lipovetsky.

« Apéricube : les saveurs de l’authentique » ; « TotalEnergies n’a jamais cessé depuis d’être animée par un authentique esprit pionnier » ; « Volvo : une offre authentique »Qu’on parle de pétrole, de voitures, de barbes à papa ou de médicaments, toutes les voies y mènent : l’authenticité. Au sens « rustique », elle promet aux consommateurs le sentiment grisant d’échapper aux griffes de la mondialisation. Au sens d’« honnêteté », elle prémunit les entreprises contre le greenwashing. Mais ce n’est pas tout : l’authenticité est aussi devenue une caractéristique recherchée dans le monde du travail. Aujourd’hui, la plus convoitée des soft skills, c’est précisément de ne pas chercher à en avoir. Alors, ça y est ? Il est venu, le temps de « venir comme on est » aussi facilement au bureau qu’au McDo ?

 

“L’âge démocratique a […] ouvert la voie à la légitimation et à la valorisation de l’individualité singulière”

—Gilles Lipovetsky, philosophe

 

L’authenticité n’a pas attendu la mondialisation et la grande distrib’ pour faire sa révolution. « L’idéal de conduire sa vie en n’obéissant qu’à soi-même est inséparable de la “révolution démocratique”, de l’avènement d’une culture politique et morale reconnaissant les principes universels de liberté et d’égalité », rappelle le philosophe Gilles Lipovetsky dans Le Sacre de l’authenticité (Gallimard, 2021). Dans les sociétés disciplinaires et traditionnelles, l’individu fondu dans la masse ne peut pas s’envisager comme une entité autonome : « Tout le temps où les sociétés ont fonctionné sous l’emprise de la loi des ancêtres et des dieux, c’est la scrupuleuse obéissance aux prescriptions collectives, non l’exigence d’être soi-même dans sa singularité subjective, qui s’est imposée comme principe de l’agir des êtres. » La fin des grandes instances d’autorité et l’avènement des droits de l’homme permettent à chacun d’être l’auteur de sa vie. « L’âge démocratique a ruiné le principe de subordination des êtres aux règles collectives reçues du dehors […]. Il a, ce faisant, ouvert la voie à la légitimation et à la valorisation de l’individualité singulière. »

 

La rigueur rousseauiste

S’il est un philosophe qui incarne la révolution de l’authenticité, c’est bien Jean-Jacques Rousseau. Le monde social, selon lui, est un lieu de fausseté, qui condamne chacun à paraître plutôt qu’à être. Et ne fait qu’« altérer, changer, détériorer mon être » (Rousseau juge de Jean-Jacques, 1782). Ne serait-ce que considérer l’opinion d’autrui, c’est enterrer notre propre autorité : « Sitôt qu’il faut voir par les yeux des autres, il faut vouloir par leurs volontés » (Émile, 1762).

L’authenticité ainsi comprise comporte une dimension sacrificielle. « Ne fais ni ne dis jamais rien que tu ne veuilles que tout le monde voie et entende ; et, pour moi, j’ai toujours regardé comme le plus estimable des hommes ce Romain qui voulait que sa maison fût construite de manière qu’on vît tout ce qui s’y faisait » (La Nouvelle Héloïse, 1761), s’exclame Rousseau. Avec ce que cette transparence radicale comporte de frictions sociales ! En effet, si vous jugez que l’accent de votre collègue pourrait compromettre une opportunité auprès d’un client, ou que le travail de votre collègue revenue après un burn-out est mauvais, vous devez, selon Rousseau, le lui dire sans ambage !

 

“Si les autres hommes veulent me voir autre que je ne suis, que m’importe ?”

—Jean-Jacques Rousseau

 

Paradoxalement, selon Rousseau, être soi suppose aussi de supporter sans broncher les malentendus sur sa propre personne&nb…

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