EN BREF
Les « licoornes » sont des coopératives de l’économie sociale et solidaire qui se sont regroupées au sein d’une association.
D’OÙ ÇA VIENT ?
En 2021, neuf coopératives décident de fonder l’association Licoornes. Leur but ? Proposer un modèle économique alternatif, qui ne soit pas basé sur la compétition et la recherche de profit. Leur nom ? Il fait explicitement référence aux « licornes », ces start-up à succès valorisées à plus d’un milliard de dollars. Les licoornes, avec deux « o » comme dans « coopérative », s’inscrivent en faux vis-à-vis de ce modèle archétypique de l’économie de marché.
Dans une coopérative, une voix n’égale pas à une action, mais à une personne, peu importe l’apport financier de cette dernière. Un client d’une coopérative peut n’investir que 100 € dans une unique part sociale, il aura autant voix au chapitre qu’une collectivité territoriale qui la finance à hauteur de 50 %. Ce modèle coopératif, plébiscité par l’économie sociale et solidaire, connaît une forte croissance. Entre 2021 et 2022, le nombre de Scop (société coopérative et participative) et de Scic (société coopérative d’intérêt collectif) a augmenté de 4 %, avec un chiffre d’affaires également en croissance – 8,4 milliards d’euros en 2022, soit une progression de 11 %. D’ici 2026, la confédération qui les réunit s’est d’ailleurs promis d’atteindre 10 milliards de chiffre d’affaires et 100 000 emplois.
La forme juridique adoptée par la quasi-totalité des licoornes, la Scic, est aussi la plus contraignante. Pour remplir son objectif de production « de biens et services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale », une Scic doit obligatoirement rassembler au moins trois types d’associés différents (par exemple salariés, producteurs, bénéficiaires, collectivités), et réinvestir la quasi-totalité de ses excédents dans son activité.
UN EXEMPLE ?
Parmi les neuf entreprises fondatrices, on trouve Enercoop, fournisseur d’électricité « verte, locale et citoyenne » ; Telecoop, opérateur télécom « engagé dans la transition écologique et solidaire » ; des entreprises du secteur de la mobilité (covoiturage, autopartage, compagnie ferroviaire) ou encore une banque qui ne finance que des projets éthiques. Le 7 septembre 2023, quatre nouvelles coopératives sont venues grossir leurs rangs, parmi lesquelles le mastodonte Biocoop, distributeur de produits bio (1,5 milliard de chiffre d’affaires en 2022).
ET ENSUITE ?
L’idéal de la coopérative rappelle celui de l’histoire de la démocratie représentative française, qui est celle d’un découplage progressif du droit de vote et de la propriété privée. En 1751 dans L’Encyclopédie, le baron d’Holbach écrivait à l’article « représentant » : « c’est la propriété qui fait le citoyen ; tout homme qui possède dans l’État, est intéressé au bien de l’État, et [...] c’est en raison de ses possessions qu’il doit parler, ou qu’il acquiert le droit de se faire représenter ». Pas étonnant que plus tard, au moment de la Révolution, les citoyens soient divisés en deux catégories. Aux « citoyens actifs », propriétaires et imposables, le droit de voter ; aux « citoyens passifs », le droit… d’obéir. Ce principe de suffrage censitaire, aboli progressivement entre 1919 et 1945 pour la chose publique, perdure en réalité dans les conseils d’administration des entreprises. Comme le « citoyen actif » d’hier, l’actionnaire majoritaire, censé être plus concerné par le bien de l’entreprise, a plus voix au chapitre !
La coopérative est, en quelque sorte, la transposition du suffrage universel à l’échelle d’une organisation. Être intéressé pécuniairement n’est pas nécessaire pour avoir l’intérêt d’une société à cœur. En se recentrant sur les besoins des parties prenantes et en cessant de chercher la croissance à tout prix, les « licoornes » veulent impulser la transition vers une économie plus démocratique, plus écologique, plus solidaire, bref : plus en phase avec la société qu’elles représentent en même temps qu’elles la servent.
ET CONCRÈTEMENT ?
Le modèle coopératif ne date pas d’hier, et ne concerne pas que les acteurs de l’économie sociale et solidaire, tout comme il ne se limite pas aux Scic ou aux Scop. Il y avait plus de 22 000 entreprises coopératives en France en 2020, regroupant 5 % de l’emploi salarié. On en trouve beaucoup dans le secteur agricole, chez les artisans, les consommateurs, etc. De grosses entreprises françaises, comme Leclerc, U, Intersport, Optic 2000, le Crédit agricole ou JouéClub, sont des coopératives, sans que la plupart de leurs clients n’en soient au courant ni ne participent à leur gouvernance.
Tout comme le droit de vote ne prémunit pas la démocratie contre l’abstentionnisme, adopter un statut de coopérative n’assure ni la participation effective de chacune des parties prenantes, ni la représentation de chacun des points de vue dans les prises de décision. Ainsi, Biocoop n’a pas été épargné par un conflit social en 2020. Ses salariés, pourtant représentés au collège de gouvernance de l’entreprise, ont dû en passer par la grève pour réclamer de meilleures conditions de travail – et le conflit s’est soldé par le licenciement de la majorité des grévistes. Quant aux plus jeunes licoornes, elles doivent encore faire leurs preuves : Railcoop, qui ambitionnait de relancer la ligne ferroviaire Lyon-Bordeaux et avait rassemblé plus de 14 000 sociétaires autour de ce projet, a été placé en redressement judiciaire en octobre 2023.