Elle proteste, elle démissionne, elle bifurque, elle déprime, et elle passe beaucoup de temps sur son smartphone : la jeunesse fait beaucoup parler d’elle, notamment dans le monde du travail. Difficile, pourtant, de cerner cet ensemble générationnel qui n’a rien d’un bloc homogène. La sociologue Anne Muxel nous aide à entrer dans la tête de ces jeunes.

Propos recueillis par Sophie Gherardi.

 

La génération qui arrive sur le marché du travail a subi les contraintes liées au Covid pendant ses années d’étude. Cette expérience lui donne-t-elle des traits communs ?

Anne Muxel : Le Covid est une expérience inédite qui a marqué tout le monde, quel que soit l’âge. Concernant les jeunes générations, les études montrent – et c’était déjà repérable durant la crise sanitaire – qu’elles ont été fortement ébranlées. Le taux de souffrance psychique est très important, avec une augmentation des cas de dépression, de maladie mentale. Les jeunes ont pris conscience d’aspects de l’existence qu’ils n’avaient pas forcément explorés : la question de la finitude ; la question de la fragilité face à un fléau d’ordre biologique ; la peur de perdre ses proches, ses parents, ses grands-parents. Sans doute a-t-on sous-estimé cette peur qui a pu les saisir d’un retour du tragique. Mais cette prise de conscience a pu aussi leur donner une force particulière.

La seconde chose qui les a marqués, c’est la privation de liberté. Dans nos contrées occidentales, la privation de liberté, et aussi de mobilité, était une chose inenvisageable. L’expérience successive des confinements, des couvre-feux, de l’obligation de distanciation sociale, tout cela a eu une incidence sur des générations qui ont dû renoncer, en très peu de temps, à tout ce qui caractérisait la vie de la jeunesse. Ce temps fait de liberté, de rencontres, d’échanges, de mobilité – y compris géographique –, la vie étudiante avec ses moments de socialisation bien particuliers… Tout cela a été bouleversé et empêché.

Ces deux aspects laisseront des traces dans la biographie individuelle, et les affects qu’ils ont suscités marqueront durablement ces jeunes générations pour qui tout s’est refermé dans le temps où se dessinent les choix. Le sens de la vulnérabilité de la vie humaine s’est trouvé renforcé chez elles par la conscience du péril environnemental lié au réchauffement climatique. Beaucoup ont vu un rapport entre le développement de ces épidémies virales et les dérèglements au niveau environnemental, écologique et climatique.

 

Peut-on parler d’une perte de confiance chez toute une génération ?

L’entrée générationnelle est toujours difficile et j’essaie d’éviter les étiquettes. On peut néanmoins constater qu’à l’expérience du Covid s’est ajouté le retour de la guerre en Europe, avec la perspective d’un conflit plus large. Les jeunes n’y avaient pas été préparés : souvent surprotégés par leurs parents et grands-parents, ils étaient convaincus de vivre dans un environnement assez sécurisant. Leurs inquiétudes sur l’avenir en ont été encore ravivées et les ont installés dans une posture de plus grande interrogation sur leur vie, sur la façon dont ils pouvaient se projeter ou pas dans un futur et aussi sur le sens de la vie individuelle et collective sur la planète. Ce sont les fondamentaux qui ont été ébranlés.

 

“Je crois qu’il y a aussi un blocage dans la transmission entre les générations”

 

C’est d’ailleurs ce qu’exprime le succès de l’expression « OK boomer » : les générations précédentes sont totalement discréditées pour n’avoir pas su préserver un monde vivable. Et comme la confiance est fragilisée, je crois qu’il y a aussi un blocage dans la transmission. Les jeunes générations ne considèrent plus que leurs aînés peuvent servir à quoi que ce soit pour les préparer au monde de demain. Pire, ils considèrent que ces générations sont responsables de l’état du monde dans lequel ils ont à …

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