En management, on ne parle plus que de profils ou de comportements, et le terme de « caractère » (bon ou mauvais) est devenu presque tabou. Pourtant, ce sont des personnalités bien réelles qui s’expriment dans le collectif de travail – des colériques, des flegmatiques, des enthousiastes... Il serait contre-productif de composer des équipes uniquement en fonction de compétences théoriques, sans prendre en compte les caractères qui vont s’y exprimer. C’est ce que défend Frédéric Spinhirny, qui a publié en 2022 Les Caractères aujourd’hui. Ce qui résiste et ce qui cède (Payot).
Propos recueillis par Apolline Guillot.
Au travail, on parle plutôt de « profil » ou de « comportement », et assez rarement du « caractère » de quelqu’un. Pourquoi donc ?
Frédéric Spinhirny : On confond souvent l’humeur, le caractère et la personnalité pour désigner la composante passive de nos rapports sociaux. Il s’agit de ce qui nous dépasse, ce qui nous échappe malgré nous. Au Moyen Âge et surtout au tournant du XIXe siècle, la « caractérologie » se constitue comme discipline et étudie la manière dont la constitution physique, héritée de la naissance, oriente la manière de vivre et de se comporter des individus, voire la manière de voir le monde. Aujourd’hui, la psychologie a pris une place prépondérante, et on a du mal à reconnaître cette influence passive du corps sur nos états mentaux et affectifs. C’est la personnalité qui revient souvent en avant, notamment au travail.
Mais je pense que le « caractère » n’a pas disparu. De la même manière qu’une idéologie constitue un « prêt-à-penser », le caractère peut se définir comme un « prêt-à-agir ». Dans des situations critiques, les individus réagissent avant même qu’ils ne puissent contrôler leur comportement. Parler de « personnalité », c’est entretenir une vision assez éthérée de l’individu. À travers les nouvelles notions d’identité, on se plaît à croire qu’on pourrait travailler sa personnalité, la polir comme on veut, la transformer.
“Je n’ai pas rencontré de manager qui gère uniquement des compétences et des ‘profils’ : au quotidien, nous gérons avant tout des caractères”
Étymologiquement, le terme de « caractère » renvoie à une marque au fer rouge, quelque chose dont on ne peut pas se débarrasser. En parlant de caractère, ne risque-t-on pas de réintroduire une forme de déterminisme dans nos comportements ?
Le caractère est attaché au corps, et la société tertiaire telle qu’on la connaît se plaît à valoriser les tâches les plus intellectuelles, justement pour se démarquer du corps. Mais nous naissons toujours avec un corps biologique et ses hérédités, son métabolisme, son histoire ! Le XXe siècle a énormément exacerbé les facteurs relationnels dans la constitution de la personne. Je ne le nie pas, mais cela a conduit à un rêve de remodelage permanent de l’individu – notamment à travers le développement personnel. Depuis dix ans que je suis manager, dont six dans les ressources humaines, je vois qu’on manipule des idées nouvelles qui sont plutôt fausses, pour fermer les yeux sur la part déterminée chez les individus.
On se moque beaucoup de la caractérologie de la fin du XIXe siècle, qui en effet était caricaturale. Mais quand on vous parle à tout bout de champ de l’ADN, de régimes alimentaires ou de ce qu’il y a dans votre cerveau pour supprimer tel ou tel type de comportement, je ne sais pas si on a vraiment fait un grand pas. Au quotidien, un chef d’équipe en passe nécessairement par des figures idéal-typiques qui ne s’écarten…
(sans coordonnées bancaires)
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