Parfois, dans une entreprise, un ou plusieurs groupes font bande à part. Si l’existence de ces clans peut être un élément à part entière du fonctionnement de l’organisation, elle peut également entraver largement sa productivité. D’où viennent les clans ? À quoi servent-ils ? Faut-il s’en débarrasser, et si oui comment ? Sophie Gherardi examine ces questions.
Félicitations ! Vous venez d’être nommé(e) à la tête d’une entité importante de votre entreprise. Tout feu tout flamme, vous pensez appliquer un nouveau plan stratégique pour augmenter la productivité et fluidifier le travail de chacun. Sauf qu’une fois en poste… rien ne se passe. Deux clans, installés depuis des années, bloquent tout changement. Car s’il est une réalité à laquelle aucune école de commerce ne prépare, c’est bien celle-ci : l’existence résiduelle, en entreprise, de sous-groupes qui se serrent les coudes et rejettent tout projet ou personne qui les menaceraient. Il devient alors essentiel de comprendre : peut-on vraiment en finir avec les clans au travail ?
Archaïque, le clan ?
Le clan, mot gaélique, désigne à l’origine un groupe social issu d’un ancêtre commun, en Écosse ou en Irlande. Le langage courant a adopté ce mot pour désigner des personnes partageant des intérêts communs très forts et se soutenant mutuellement pour les défendre. Le clan définit donc une ligne de démarcation entre appartenance et exclusion. À ce titre, le grand spécialiste des tribus amérindiennes, Robert Harry Lowie, notait en 1936 que « le sentiment clanique empêche la solidarité tribale de s’affirmer ».
Dans une organisation aussi structurée juridiquement qu’une entreprise, comment expliquer que persistent des logiques claniques ? Selon le sociologue allemand Ferdinand Tönnies (1855-1936), on peut distinguer la Gemeinschaft (communauté), un collectif reposant sur un sentiment affectif d’appartenance partagé par tous ses membres, et de l’autre côté, la Gesellschaft (société), une relation contractuelle ou quasi-contractuelle entre des individus qui ne comporte aucune dimension affective. Pour Tönnies, on peut interpréter l’histoire de la civilisation moderne comme un passage de la communauté à la société. Le clan, forme communautaire archaïque, s’efface normalement quand s’installent les structures sociales modernes. L’existence de clans dans des entreprises par ailleurs fondées sur une entente contractuelle serait donc… anachronique.
“Les clans prospèrent surtout dans des organisations très politiques, où le pouvoir est plus valorisé que l’argent”
L’autre grand sociologue allemand de la même époque, Max Weber, apporte une nuance de taille à la typologie de la Gemeinschaft et de la Gesellschaft : il les voit comme des processus dynamiques, la « communautisation » (Vergemeinschaftung) et la « sociétisation » (Vergesellschaftung), qui ne s’excluent pas mutuellement mais au contraire coexistent dans la réalité. Dans son recueil Les Communautés (1910), Weber observe que les processus de communautisation reposent sur l’appropriation de biens par le groupe, qu’ils soient matériels ou immatériels, ce qu’il appelle la « captation des chances économiques ». Et il constate que, dans son effort pour monopoliser des ressources, la communauté va s’efforcer d’évincer les concurrents …
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