Selon une enquête récente, la majorité des crédits carbone émis n’ont eu aucun réel effet positif sur l’environnement. Preuve qu’il serait temps se débarrasser de ce système, pourtant plébiscité par nombre d’entreprises, y compris les gros pollueurs mondiaux ? Ou signe qu’il faudrait le conserver, tout en s’employant à l'améliorer ? Nous avons enquêté pour comprendre comment fonctionne la compensation carbone et ce qu’on peut en attendre... ou non.
« Crédits fantômes » . C’est en ces termes sans appel qu’ont été récemment qualifiés plus de 90 % des crédits carbone accordés par le plus gros label mondial de compensation volontaire, Verra, ou Verified Carbon Standard (VCS). L’enquête, menée sur le terrain de la forêt amazonienne par le Guardian, Die Zeit et Source Material (et solidifiée par trois études scientifiques) affirme qu’à cause d’erreurs méthodologiques, l’immense majorité des bienfaits en termes de lutte contre la déforestation tropicale promis contre crédits par Verra sont soient inexistants, soient surestimés. Une affirmation que Verra juge pour sa part excessive, expliquant que le Guardian aurait extrapolé les résultats plus optimistes des études scientifiques. Pour qui n’est pas familier de l’univers hautement technique de la compensation, les lignes précédentes ne signifient peut-être pas grand-chose. À quelle réalité écologique renvoient ces crédits que les entreprises achètent et vendent ? Qu’est-ce qui se joue concrètement quand on dit que l’on compense des émissions carbone ? Et qu’est-ce qui précisément ne fonctionne pas lorsque les crédits en question se révèlent pour ainsi dire fantomatiques ? Le sujet mérite de s’y arrêter car il ne se contente pas de mobiliser des flux financiers : il pose des questions éthiques sur la façon dont nous devons aborder la lutte contre le réchauffement climatique.
“Si j’émets une tonne de CO2 en plus ici mais que quelqu’un réduit son émission du même montant à 200 kilomètres, sur le plan physique et climatique, le total reste égal”
— Laurent Piermont, fondateur du Fonds carbone européen
Mais d’abord, quelques explications. La compensation carbone part d’un postulat scientifique : l’indifférenciation du lieu d’émission du CO2. « Quel que soit l’endroit d’où est émis du CO2, son effet sur l’atmosphère est exactement le même. Donc, si j’émets une tonne de CO2 en plus ici mais que quelqu’un réduit son émission du même montant à 200 kilomètres, sur le plan physique et climatique, le total reste égal », explique Laurent Piermont, docteur en écologie et fondateur du Fonds carbone européen en 2005 - le premier fonds carbone non-gouvernemental du monde. À ce premier principe s’ajoute un second : la possibilité de séquestrer le carbone, grâce aux forêts notamment, et donc de réaliser des « émissions négatives » . Imaginons maintenant que la loi me contraigne à réduire mes émissions de 10%, mais que pour une bonne ou une mauvaise raison, cet effort me paraisse impossible à réaliser. Et si, au lieu de financer la réduction de ma propre activité, je payais un quidam 200 kilomètres plus loin pour qu’il réduise à ma place son émission du même montant ? Je pourrais alors revendiquer à mon compte sa propre réduction. Voilà l’idée de la compensation, dont les modalités ont été formalisées par le protocole de Kyoto en 1997 : faire de ce principe d’indifférenciation du CO2 un marché, où se vendent et se revendent les émissions évitées à travers le monde. « Mais, précise Laurent Piermont, puisque nous émettons trop de CO2, la compensation n’a de sens qu’à la condition que les plus grands efforts soient consentis par chaque acteur pour réduire au maximum leurs émissions, et ne compenser que celles qui sont inévitables. »
Laurent Piermont est un acteur des premières heures de la mise en place de ce mécanisme, qui a contribué selon lui à allier la lutte contre le réchauffement climatique à « l’approche libérale de l’économie » . L’avantage de cette union, ajoute-t-il, est double. D’abord, chacun peut continuer à poursuivre son intérêt économique (qui, en théorie libérale, conduit à l’intérêt du plus grand nombre) et l’argent est alloué de la manière la plus optimale possible. Parfois, la réduction d’une tonne supplémentaire de CO2 chez soi est impossible ou très coûteux. Le mécanisme permet d’al…
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