Chère lectrice, cher lecteur,

Depuis vingt-cinq ans, la France possède un double heureux : son équipe nationale de football. Les Bleus se renouvellent sans cesse mais restent au plus haut niveau : champions du monde en 1998 et 2018, magnifiques vice-champions du monde en 2022, bien partis pour l’Euro 2024… Si l’équipe de France était une entreprise, elle serait un modèle : performance dans la durée, cohésion, excellence des ressources humaines, diversité, talent, jeunesse. Un rêve de manager !

La jeunesse, le talent et la diversité viennent d’être promus par le sélectionneur, Didier Deschamps, qui a choisi Kylian Mbappé, 24 ans, comme nouveau capitaine de l’équipe de France. Pour succéder à Hugo Lloris, gardien mythique et capitaine pendant treize ans, beaucoup auraient imaginé Antoine Griezmann, 32 ans. Le public l’adore pour sa solidité et sa générosité dans les matchs, partout présent pour défendre, attaquer, passer le ballon à ses coéquipiers. À l’altruiste a été préféré le soliste, sans doute pour marquer le passage à une nouvelle génération. Les trentenaires ne sont plus qu’une poignée chez les Bleus. Mais, avec déjà 66 sélections en équipe de France, Kylian Mbappé peut à juste titre se présenter comme « le lien entre la nouvelle génération et l’ancienne ».

 

“Et bien que chacun d’eux soit bon, tous ensemble ils deviendront meilleurs quand ils se verront commandés par leur prince, et par lui honorés et choyés”

—Machiavel

 

Celui que ses coéquipiers surnomment Donatello – pour une supposée ressemblance physique avec la tortue Ninja qui porte ce nom – aurait comblé d’aise Machiavel. Le Prince, son livre le plus connu, écrit en 1513 et dédié à Laurent le Magnifique, est un traité sur la prise et la conservation du pouvoir. Et c’est comme si le jeune capitaine des Bleus avait lu et mis en pratique le Florentin de la Renaissance. Un bon capitaine « c’est quelqu’un avant tout tourné vers l’équipe, capable d’être rassembleur, fédérateur et d’emmener les autres dans son sillage », a commenté Kylian Mbappé après sa nomination. « Et bien que chacun d’eux soit bon, tous ensemble ils deviendront meilleurs quand ils se verront commandés par leur prince, et par lui honorés et choyés », semble compléter Machiavel.

Aucune superbe chez l’impétrant Mbappé quand il affirme : « Il y a des joueurs d’expérience dans l’équipe. Je n’ai pas envie de décider, d’imposer. J’ai envie d’ouvrir la possibilité aux autres de s’exprimer. Nous sommes un groupe uni. Ce serait une erreur pour moi de bouleverser tout ça. » Notre jeune footballeur aurait-il médité la description que fait Machiavel du royaume de France ? Contrairement au sultan turc qui gouverne seul, « le roi de France est placé au milieu d’une foule de seigneurs de vieille souche, reconnus dans ce pays par leurs sujets, et aimés d’eux ; ils ont leurs prérogatives ; le roi ne peut les leur enlever sans se mettre en danger ». « Les États constitués comme la France, il est impossible d’en être si paisible possesseur », car la rébellion y guette à tout moment.

Machiavel ajoute une difficulté qui est propre aux monarchies nouvelles (comme le capitanat de Mbappé) : la conquête engendre toujours des vexations et des frustrations, « de sorte que tu as pour ennemis tous ceux que tu as lésés en occupant ce pays, et que tu ne peux conserver l’amitié de ceux qui t’y ont fait entrer, pour ne les pouvoir récompenser dans la mesure où ils l’avaient présupposé ». Faisant preuve d’un art consommé du management, Kylian Mbappé a déminé le cas Griezmann dès sa première conférence de presse : « J’ai parlé avec Antoine parce qu’il était déçu […], c’est une réaction qui s’entend. Je lui ai dit qu’à sa place, j’aurais peut-être eu la même. Il a été l’un, ou peut-être le joueur le plus important de l’ère Didier Deschamps. […] Je ne suis pas son supérieur hiérarchique, il a une expérience en équipe de France que je n’ai pas. » Et d’ajouter « Ce ne sera pas moi devant et lui derrière. On sera côte à côte. » On ne saurait mieux faire pour transformer un rival potentiel en allié.

Si Kylian Mbappé assure avec loyauté qu’il fera toujours ce que lui demandera l’entraîneur, et parle de l’« honneur indescriptible » que lui a fait Didier Deschamps en le nommant capitaine, il ne semble pas prêt à renoncer à l’audace de la jeunesse : « Ma génération est insouciante, […] ce qui lui permet de jouer les matchs à haute pression comme si c’étaient des matchs lambda. L’identité de cette génération, c’est cette envie de grandeur, de viser les sommets. » Les Bleus ont gagné leurs deux premiers matchs avec Mbappé pour capitaine. La fortune, « en tant que femme », dit Machiavel, est « amie des jeunes, parce qu’ils sont moins circonspects, plus hardis, et avec plus d’audace la commandent ».

À propos de femmes, l’équipe féminine de football, pendant ce temps-là, traverse une grosse crise de management : sa sélectionneuse, Corinne Diacre, a été écartée après une fronde des joueuses et sera remplacée, chose inédite, par un homme. Qu’en aurait dit Machiavel ?

 

 

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Bonne lecture, 

Sophie Gherardi

Photo © Matthieu Mirville / DPPI via AFP
29/03/2023