La “gender fatigue”, c’est le phénomène qui nie aux femmes le droit de se plaindre de leur situation, sous prétexte que l’égalité a déjà été atteinte ou qu’il y a des problèmes plus graves. Comment comprendre cet épuisement contemporain ?
« Les femmes, on leur veut tout le bien du monde, mais tout ne peut pas graviter autour du féminisme ! Pauvreté, réchauffement climatique, guerres – à écouter les médias, tous les maux du monde tiennent au patriarcat. Cette obsession dessert l’intérêt des femmes : elle agace plus qu’autre chose ! N’est-ce pas le signe qu’il est temps de tourner la page ? »
Si vous ne connaissez pas le concept de « gender fatigue », en voici un aperçu. Il désigne au mieux l’ennui, au pire l’exaspération liée à la lutte pour les droits des femmes. Certains s’indignent des quotas, responsables de nominations illégitimes à la tête des organisations. D’autres, ingénus, ne comprennent pas la violence qu’on reproche à leur genre, à laquelle ils n’ont pas l’impression de participer. Les idéalistes déplorent cette « guerre des genres », qui brise leur rêve d’une société unie. D’autres encore ne peuvent plus encadrer ces programmes hypocrites de « diversité et inclusion » – après le greenwashing, le féminisme washing ! Tout le monde est fatigué. De quoi cet épuisement est-il le signe ?
La goutte de trop
Les gender fatigués en auraient-ils marre de la récupération marketing du féminisme ? La journaliste Léa Lejeune, dans son ouvrage Féminisme Washing (Fayard, 2021) parle même de « femvertising », contraction de féminisme et publicité. Elle cible notamment Dior et son t-shirt « We should all be feminists » à 750 euros – inaccessible à la majorité des femmes, mais féministe, vraiment ? La même maison de luxe a aussi organisé à Paris un défilé supposément militant. Des slogans tels que « I don’t belong to anyone » ou « I’m not only a mother, a wife, a daughter. I’m a woman » défilaient derrière des mannequins… taille 34.
Ou peut-être cette fatigue vient-elle du matraquage médiatique ? « Les questions liées au genre sont devenues obsessionnelles et traitées avec beaucoup d’agressivité. On oublie qu’en 60 ans, on a davantage progressé qu’en 100 000 ans d’humanité. Ne peut-on pas mettre en lumière le progrès ? », soupire Zita, DRH dans une entreprise de cosmétique, qui déplore la surenchère des mauvaises nouvelles. « Les gens en ont assez d’entendre les mêmes choses en boucle depuis cinq ans, sans renouvellement véritable », constate Paul, qui travaille dans les médias. Quant à Frédéric, 67 ans, il s’agace de ce que les sujets ne soient pas hiérarchisés : « Les féminicides, c’est environ 140 femmes par an. Évidemment, c’est 140 de trop. Le tabac fait 8 millions de morts chaque année dans le monde ! La pollution, 9 millions de morts ! Est-ce qu’il n’y a pas des sujets prioritaires ? »
“Les femmes sont socialisées pour mettre les besoins des autres avant les leurs”
—Debra Jackson, philosophe
Ces réactions ne surprennent pas la philosophe Debra Jackson, professeure à l’université de l’État de Californie : « Les femmes sont socialisées pour mettre les besoins des autres avant les leurs. La gender fatigue ne dit pas autre chose : une fois de plus, on cherche à leur faire apparaître que leur souffrance est dérisoire par rapport aux vrais problèmes. Mais ce ne sont pas les Jeux olympiques ! Les problèmes du monde ne se résolvent pas successivement, un par un. » Et si la gender fatigue était l’autre nom d’un sexisme basique, qui remonte à bien avant l’ère de l’infobésité ?
Le revers des quotas
« Le phénomène apparaît aujourd’hui sous l’idée de fatigue, mais ce débat est ancien, autrefois connu sous le nom de “backlash”, ce retour de manivelle face au progrès des droits des femmes », explique la philosophe féministe Estelle Ferrarese. Elle rappelle que des réactions de résistance avaient déjà eu lieu en Inde dès les années 1950, et aux États-Unis dans les années 1960, pour critiquer notamment les premières mesures de discrimination positive. En France, ce retour de bâton est arrivé plus tard, à la fin des années 1990. « On considère qu’il y a une injustice commise, dans la mesure où le mérite n’est plus le seul critère retenu pour accéder à l’université ou au travail ». Marre des trai…
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