« Et toi alors, qu’est-ce-que tu veux faire quand tu seras grand ? ». La question est banale, les réponses le sont moins. « Astronaute », « pilote d’avion », « pompier » répondent les bambins. Et, il faut le dire, moins souvent « directeur des ressources humaines », « designer des transformations » ou « business analyst ». Pourquoi prenons-nous subitement les enfants tant au sérieux ? Notre obstination à leur poser cette question en dit plus sur nous que sur eux, analyse Alexandre Jadin dans cet essai.

Le monde d’un enfant déroute : il nous parle en vrac de licornes qui habitent sous le lit, de la nécessité d’aligner des cailloux sur un chemin ou encore de collecter le plus de brins d’herbe possible. Un joyeux capharnaüm qui nous laisse pantois… et nous pousse à vouloir nous entretenir avec eux d’égal à égal. En demandant à un enfant ce qu’il veut faire plus tard, nous tentons de le sortir de son propre monde pour le confronter au nôtre.

Mais ce qui nous trotte dans la tête, c’est aussi une petite chanson du style « Tu sais, tu ne pourras pas éternellement aligner des cailloux ou relooker des Action man ». Plus qu’une simple volonté de converser avec ces bipèdes encore chancelants, il y a l’idée d’un rappel à l’ordre qui prend la forme d’une effraction du monde adulte dans le monde de l’enfant. Presque un avertissement, une manière de lui donner un avant-goût des affres de la vie adulte, matinée de choix, de renoncements et de frustrations.

 

“Les enfants qu’on appelle heureux ne le sont qu’en espérance”

—Aristote

 

Une attitude qui participe d’une conception négative de l’enfance, qui court de l’Antiquité au Moyen Âge. L’enfant est alors considéré comme un être imparfait ; on ne le considère qu’à la mesure de l’incomplétude de sa vie d’adulte. Pour Aristote, qui n’hésite pas à comparer la prime enfance à une pousse, l’enfant est incapable non seulement de raisonner ou de poser des jugements moraux, mais, plus encore, d’accéder au bonheur : « les enfants qu’on appelle heureux ne le sont qu’en espérance » (Éthique à Nicomaque). C’est ainsi que les opinions des plus jeunes sur le bonheur ne valent rien : « ils ont seulement besoin […] de grandir pour changer d’avis » (Éthique à Eudème).

 

Prendre au sérieux la légèreté

Plutôt que de se mettre au niveau de l’enfant, on l’exhorte alors à rejoindre la cohorte du corps professionnel, en l’enjoignant de prendre position sur l’échiquier du marché du travail. Et le résultat de cette folle tentative de conversation ne peut que dérouter : ces bribes de carrière en restent bien souvent à l’imaginaire simplifié de la profession des parents ou, de manière plus désarmante encore, à leur propre monde fantastique.

Si ces réponses enfantines peuvent décevoir, c’est précisément parce que nous nions l…

Il vous reste 75% à lire
Profitez de 7 jours gratuits sans engagement ou abonnez-vous
Abonnez-vous pour accéder à l'intégralité des contenus du site et rejoindre la communauté des Philonomistes. Découvrir les offres d’abonnement
Abonnement gratuit 7 jours
(sans coordonnées bancaires)
Accédez gratuitement à l'intégralité du site.

Votre entreprise vous a abonné(e) à Philonomist ?
Cliquez sur le bouton ci-dessous.