est diplômé d’un master en philosophie contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il écrit pour Philonomist.
Photo © Mariette Thom
« C’est d’un ennui… » Oui, mais lequel ? S’il est courant de s’ennuyer au travail, tout ennui ne se vaut pas. En s’appuyant sur la philosophie d’Heidegger, Alexandre Jadin distingue un ennui « au futur » et un ennui rétrospectif, et trace la voie vers une saine lassitude.
Vous trouvez votre travail ennuyeux ? Pas de panique, vous n’êtes pas seul ! D’après un sondage de l’agence d’intérim Qapa, 71 % des Français trouvaient leur travail ennuyeux en 2022. Mais nous ennuyons-nous toujours de la même manière ? Il y a une différence entre attendre la validation d’un business plan de votre supérieur sans laquelle vous ne pouvez plus avancer, et faire le constat général que votre travail vous ennuie. En comprenant le fonctionnement de l’ennui, parviendrait-on à y échapper ?
Un rendez-vous manqué avec le monde
Dans Les Concepts fondamentaux de la métaphysique (1929), Heidegger propose de distinguer différents types d’ennui. Le premier type est un ennui tendu vers le futur : je m’ennuie relativement à un objet en particulier. Il prend l’exemple d’un voyageur arrivant en avance sur le quai d’une gare et qui est contraint d’attendre l’arrivée du train. Cette expérience si commune révèle que je suis ennuyé en raison de la non-coïncidence de mes attentes avec ce que le monde m’impose. Je glisse alors dans une faille temporelle où les minutes semblent des heures… jusqu’au moment de la délivrance où le train arrive. L’ennui cesse alors immédiatement.
La vie au travail semble rythmée par des épisodes de cet ennui « au futur ». Lorsque je suis à mon bureau, satisfait d’avoir abattu dès 17 h 15 tout ce que je devais faire aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il est déjà 18 h, mais ce n’est pas le cas. Mon ennui provient d’un décalage entre la réalité (17 h 15) et là où j’aimerais être (18 h).
“Le fait d’être désœuvré au travail nous conduit à ne plus coïncider avec ce que nous faisons”
Cette épreuve ordinaire au travail peut produire ce que Philippe Rothlin et Peter Werde ont baptisé en 2007 le « bore-out syndrom » dans leur ouvrage en allemand Boreout Diagnose. Le fait d’être désœuvré au travail nous conduit à ne plus coïncider avec ce que nous faisons. Le travail consiste alors à faire passer le temps relativement à une délivrance future. L’ennui provient ici d’un écart entre le fait que je sois au travail et que, n’ayant rien à faire, je désire faire tout autre chose.
L’ennui de ne pas s’être ennuyé
Heidegger distingue cet ennui tourné vers le futur d’un autre type d’ennui tourné vers le passé. Il prend l’exemple d’un homme rentrant chez lui après avoir passé un dîner avec des amis. En repens…
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