Le nouveau président argentin surprend en cherchant à faire tenir ensemble libertarianisme et autoritarisme réactionnaire. Peu connu en France, le philosophe et économiste Murray Rothbard, chantre du paléo-libertarianisme dont Javier Milei se réclame, permet pourtant d’éclairer ces contradictions apparentes. 

Comment diable Javier Milei peut-il se dire libertarien tout en ne cachant pas son désir de rogner sur bon nombre de droits et libertés fondamentales ? Depuis l’entrée fracassante de cet olibrius en politique jusqu’à son investiture dimanche 10 décembre 2023, cette apparente contradiction a de quoi interroger. C’est qu’il est difficile d’y voir clair sans avoir en tête l’existence d’un courant de pensée méconnu en France, le « paléo-libertarianisme », et de son fondateur, le philosophe et économiste américain Murray Rothbard (1926-1995), dont le nouvel homme fort argentin se revendique.

 

Celui qui a tiré Milei de son sommeil dogmatique

Murray Rothbard, dont Javier Milei a donné le prénom à l’un des quatre chiens dont il ne se sépare jamais, est sans conteste le maître à penser du président argentin. On peut même dire que le premier a métamorphosé le second. Alors que Milei était auparavant un économiste relativement conventionnel, il aurait, autour de 2013, complètement revu son logiciel au contact d’un texte de Rothbard intitulé « Monopole et concurrence », tiré de son grand œuvre L’Homme, l’Économie et l’État (1962). L’article lui aurait fait « exploser la tête », fonctionnant comme un véritable électrochoc, une révélation.

 

“Pendant plus de vingt ans, j’ai induit mes étudiants en erreur. Tout ce que je leur racontais sur les structures de marché est faux.”

—Javier Milei

 

À l’issue de sa lecture, Milei aurait déclaré : « Pendant plus de vingt ans, j’ai induit mes étudiants en erreur. Tout ce que je leur racontais sur les structures de marché est faux. C’est complètement faux. » Il se serait alors mis à dévorer les œuvres de l’Américain et à s’intéresser de près à l’anarcho-capitalisme ainsi qu’à l’école autrichienne d’économie, dont Rothbard se réclame. Ces faits sont consignés par le journaliste argentin Pablo Stefanoni, qui a été l’élève de Milei en microéconomie à l’université de Buenos Aires, dans son essai La Rébellion est-elle passée à droite ? (La Découverte, 2022).

 

De John Locke aux maîtres à penser autrichiens

Très libérale, l’école autrichienne d’économie, née à la fin du XIXe siècle et qui inspirera bon nombre de libertariens, s’oppose à la fois au socialisme, au keynésianisme et à l’économie néoclassique. Elle rejette aussi bien l’interventionnisme de l’État que l’idée d’un homo œconomicus parfaitement conscient de ses intérêts, agissant selon une parfaite rationalité prévisible. Parmi ses représentants, c’est Ludwig von Mises (1881-1973) qui influencera le plus le jeune Murray Rothbard, lequel assiste à ses séminaires à New York au début des années 1950.

Rothbard lui reprend sa « praxéologie », ou science de l’action humaine, dans le but de déduire de celle-ci les lois régissant l’échange marchand. Cela conduira à L’Homme, l’Économie et l’État, un essai dans lequel Rothbard expose le fonctionnement d’un marché sans aucune intervention dans le but de démontrer que, débarrassé de toute interférence de l’État, il s’autorégule, pareil à un ordre spontané. Proche du jusnaturalisme et de la philosophie de John Locke, Rothbard stipule, dans la lignée du Second Traité du gouvernement civil (1689), que la propriété est un droit naturel découlant de la capacité des individus à transformer les ressources par leur travail. Empêcher l’individu de jouir de sa propriété comme il l’entend – de la faire fructifier, d’en faire don ou de l’échanger – s’apparente ainsi à une agression caractérisée, une atteinte à un droit fondamental.

 

“Aucun individu ni groupe d’individus n’a le droit d’agresser quelqu’un en portant atteinte à sa personne ou à sa propriété”

—Murray Rothbard

 

Principe radical de non-agression

Dans une volonté d’établir de grandes lois générales, il formule en 1973 son « axiome de non-agression », censé régir l’ensemble des interactions sociales : « aucun individu ni groupe d’individus n’a le d…

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